@rrêt sur images, émission du 07/11/2014 par la rédaction
La télé des Indignés devient la première force espagnole
Podemos, en français "Nous pouvons", est un météore, un phénomène mutant. Donné en tête des intentions de vote en Espagne, ce parti né en janvier 2014 a créé la surprise lors des européennes avec l’élection de cinq eurodéputés, dont Pablo Iglesias, professeur de sciences politique à Madrid, et qui en prendra la tête en novembre. Un parti souvent présenté comme la continuité du mouvement des Indignés rassemblés en mai 2011 sur la Puerta del sol à Madrid mais qui trouve également son origine dans une chaîne de télévision "La Tuerka", en français "la vis", chaîne créée il y a une dizaine d’années et dont les émissions sont notamment animées par Iglesias. Le parti, ses dirigeants, son fonctionnement, son idéologie, son rapport aux médias sont l’objet de cette émission construite autour de trois invités : Jorge Lago, responsable de Podemos, Ludovic Lamant, journaliste de Mediapart, et Eric Hazan, des éditions La fabrique qui vient de publier "A nos amis", sept ans après "L’insurrection qui vient".
L'émission est présentée par Daniel Schneidermann, préparée par Mathilde Gracia, Adèle Bellot et Anne-Sophie Jacques et déco-réalisée par Axel de Velp et François Rose.
La vidéo dure 1 heure et 25 minutes.
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Pablo Iglesias : téléprédicateur ou symbole du renouveau politique en Espagne ?
par Mathilde Gracia
Imaginez un parti capable de devancer le PS et l’UMP dans les sondages après moins d’un an d’existence. C’est l’exploit que vient de réussir le parti Podemos en Espagne, selon le dernier sondage du quotidien El Pais. Un parti créé grâce à celui qui s’est imposé à sa tête, Pablo Iglesias. Depuis les années 2000, ce professeur de sciences politiques anime des émissions de débat sur Internet devenues très populaires. Fortement ancré à gauche, Pablo Iglesias est accusé de connivences avec l’Iran, Cuba ou encore ETA mais est à la tête d’un programme "ni droite, ni gauche". Enquête sur un personnage télégénique controversé.
Considéré tantôt comme un téléprédicateur populiste tantôt comme le seul homme politique espagnol intègre, Pablo Iglesias révolutionne la scène politique espagnole. A 36 ans, ce professeur de sciences politiques madrilène est à la tête du mouvement Podemos("Nous pouvons" en français), un bébé-parti lancé en janvier 2014 et qui a recueilli plus de 8% des votes aux européennes, ce qui a permis l’élection de cinq eurodéputés à Bruxelles. Un début encourageant pour un mouvement qui ne cesse de monter dans les sondages à un an des législatives. Le week-end dernier, un sondage d’El Pais donnait Podemos comme premier parti dans les intentions de vote pour les élections législatives de novembre 2015, devant les partis historiques PSOE (Parti socialiste espagnol) et PP (Parti Populaire, actuellement au pouvoir).
Souvent présenté comme la continuité du mouvement des indignés, Podemos se veut un mouvement citoyen qui prend ses décisions à travers les "cercles", soit près de 1 000 assemblées régionales. Ces derniers ont voté fin octobre pour choisir leur organisation interne. Au terme d’une semaine de suffrage sur Internet le projet mené par Iglesias a été choisi. Ce dernier devrait devenir, en toute logique, le secrétaire général le 15 novembre prochain. Pour autant, selon Ludovic Lamant de Mediapart (un de nos invités) le projet choisi tend à "banaliser un mouvement dont l’ADN est celui de la démocratie directe, au nom de «l’efficacité politique»". Interrogé hier par Mediapart sur le programme qui se dit "ni de gauche, ni de droite", Jorge Lago, responsable francophone de Podemos et présent sur notre plateau, répondait que "la gauche et la droite sont des métaphores".
Une télé critique des années 2000 devenue un tremplin médiatique
Mais au-delà de cette stratégie de communication, le succès du mouvement tient principalement à la personnalité de Pablo Iglesias et à son omniprésence médiatique. Depuis les années 2000, il est la star de sa chaîne indépendante critique La Tuerka. Disponible sur Youtube (avec de la publicité) mais aussi hébergée par Publico TV, le streaming du quotidien de gauche publico.es, la chaîne propose quatre émissions hebdomadaires du lundi au jeudi. Dans "Otra Vuelta", Iglesias s’entretient avec une célébrité du monde de la culture tandis qu’un JT satirique, "Tuerka News" détourne les sujets d’actualité tous les mercredi soirs. "Clave Tuerka", animée par Juan-Carlos Monedero, un autre leader du parti, propose des débats sur l’actualité politique et économique comme "Où va la triste Union européenne?" ou encore "Corruption: le lubrifiant du système". Avec ses 65 000 abonnés, la chaîne représente "un formidable tremplin de diffusion des idées d’un parti en pleine hausse", selon le politique Enrique Gil Calvo, interrogé par Libération.
Les vidéos de Pablo Iglesias et son équipe n’ont pourtant pas toujours été si professionnelles. Les plus anciennes sur Youtube remontent à 2010 ; Iglesias y apparaît dans un décor rudimentaire, les micros peinent à se mettre en route et le cadrage caméra laisse à désirer. Mais avec la Tuerka, il s’est construit un personnage public et s’est perfectionné face caméra. En janvier 2014, il lance le parti Podemos, avec ses compagnons, professeurs et chercheurs en sciences politique, comme Juan-Carlos Monedero et Inigo Errejon, eux aussi présents sur les différents programmes de la chaîne.
Le modèle économique de la chaîne reste toutefois brinquebalant. En juillet, la Tuerka a été épinglée par le pure player El semanaldigital qui a révélé que la chaîne rémunérait ses collaborateurs d’environ 500 euros par mois. Une révélation qui a éclaboussé Pablo Iglesias qui finance la chaîne via la boîte de production CMI (con mano izquierda, "avec la main gauche") dont il est le directeur de contenu. Spécialisée en communication politique, elle a notamment réalisé des campagnes pour le parti de gauche Izquierda Unida. Pour expliquer ces bas salaires, Iglesias a assuré qu’ils ne réalisaient aucun profit avec cette activité : "la plus grande partie du financement de la Tuerka vient de Monedero (Juan-Carlos) et moi qui dépensons notre argent".
Télégénique controversé : ETA, Cuba et l’Iran
Pour devenir une des premières personnalités espagnoles, Pablo Iglesias s’est surtout illustré dans les émissions de débats télévisés, principalement sur la chaîne de gauche La Sexta. Polémiste dans l’émission Sexta Noche, diffusée le samedi soir, il a tenu la réplique aux hommes politiques, confirmant un talent d’orateur indéniable. Désormais star politique, il est reçu en invité principal, notamment début octobre lorsqu’il faisait face à quatre journalistes dont Eduardo Inda, journaliste au quotidien de droite El Mundo et devenu son principal contradicteur dans les médias. La cause ? Ce dernier l’accuse de connivences avec ETA. En juillet dernier, Podemos a ainsi porté plainte contre Inda et Esperanza Aguirre, présidente du Parti populaire Madrid, qui porte les mêmes accusations.
Une polémique qui est loin d’être la seule à toucher Pablo Iglesias. Depuis janvier 2013, il anime une émission pour la chaîne iranienne HispanTV, dont l’objectif est de "rapprocher les peuples d’Iran, Hispanoaméricain et du Moyen Orient" selon son site. Fort Apache, qu’il présente, est une émission de débat politique. Dans un extrait que nous avons diffusé dans l’émission, il analyse la conception politique d’ETA, citant Antonio Gramsci. Quand on l’accuse d’être à la solde du régime iranien, il affirme simplement "faire de la géopolitique". "Il convient aux Iraniens de diffuser un discours de gauche en Amérique latine et en Espagne parce que ça affecte ses adversaires, nous en tirons profit ou non, explique-t-il lors d’une conférence des jeunesses communistes, pour moi celui qui fait de la politique doit assumer des contradictions".
Vous pouvez aussi utiliser le découpage en actes.
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Acte 1 Grâce à La tuerka, la chaîne diffusée sur Internet et initiée par Pablo Iglesias, ce dernier a pu percer dans les médias traditionnels et relayer la parole des Indignés raconte Jorge Lago, responsable de Podemos. Selon Ludovic Lamant, les médias n’ont rien vu venir et ajoute que Podemos est une expérience universitaire. Un formidable succès peut-être… mais en creux affirme Eric Hazan. |
Acte 2 Le succès de Podemos doit beaucoup au talent d’orateur d’Iglesias qui se frite régulièrement dans l'arène médiatique. Les attaques sur ses présumées accointances avec Cuba ou l’ETA sont finalement bénéfiques pour Podemos propulsé au centre du débat. Enfin, on revient sur l’influence des politiques latino-américaines – La Bolivie, le Venezuela – au sein du parti. |
Acte 3 Pour Hazan, le clivage aujourd’hui est entre ceux qui acceptent le capitalisme et ceux qui le rejettent. Lago se dit contre le capitalisme mais assure ne pas avoir la force de le renverser dans un contexte mondialisé. Il compte cela dit s'appuyer sur les autres forces politiques des pays en crise dont Alexis Tsipras en Grèce. Et Beppe Grillo en Italie ? Lago se démarque de l'Italien surtout depuis qu’il a rejoint au Parlement européen le groupe de l’eurosceptique Nigel Farage. |
Acte 4 Retour sur l’intervention de Mathieu Burnel, membre du collectif Tarnac, sur le plateau de Ce soir ou jamais de vendredi dernier. Lago retrouve en lui Iglesias à ses débuts, seul à tenir un discours différent dans la logorrhée habituelle. Lamant rappelle que le leader de Podemos emprunte beaucoup à la culture populaire, notamment à travers son dernier livre "Gagner ou mourir" qui tire les leçons politiques de la série Game of Thrones.
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