Évacuations de campements de Roms : brutale « humanité »
Pendant
les seuls mois de juillet et août, cette année, deux à trois milliers
de Roms ont été évacués des terrains qu’ils occupaient – un chiffre
comparable à celui de l’été 2011 et nettement supérieur à celui de l’été
2010, à l’époque du sarkozysme : Saint-Etienne, Lyon, Lille, Marseille,
Aix en Provence, La Courneuve, Stains, Vaulx-en-Velin, Evry,
Saint-Priest... : la liste, non exhaustive, continue à s’allonger de
jour en jour, malgré les belles promesses du gouvernement.
Aux
violences contre les personnes et les biens s’ajoute le mépris de la loi
: ainsi, à Evry, l’expulsion est intervenue sans décision judiciaire
préalable et le juge a désavoué a posteriori l’initiative du préfet qui
avait cru pouvoir anticiper une décision favorable. Les évacuations ne
sont accompagnées d’aucune proposition d’hébergement alternatif, sinon,
parfois, quelques hébergements d’urgence relevant du SAMU social.
L’évacuation
des campements débouche sur des mesures d’éloignement du territoire
dans des conditions tout aussi illégales : des centaines d’obligations
de quitter le territoire sont ainsi pré-remplies en préfecture avec
comme motif : « l’intéressé ne peut justifier de ressources ou de moyens
d’existence suffisants et se trouve en situation de complète dépendance
par rapport au système d’assistance sociale ».... Il ne reste plus aux
policiers qui procèdent à l’évacuation qu’à inscrire l’état civil de la
personne contrôlée, comme s’ils avaient procédé, ainsi que le prévoit la
réglementation, à un examen effectif de sa situation personnelle. Les
personnes en situation régulière n’ont ainsi pas la moindre chance
d’être identifiées lors de ces opérations policières se déroulant en
extérieur et en catimini, très tôt le matin, sans qu’il soit laissé le
temps aux habitants des terrains d’exposer leur situation, documents à
l’appui.
Le ministre de l’intérieur va répétant vouloir ajouter de
l’humanité à la fermeté : expulser, oui, mais humainement. La réalité
des chiffres et des actes dément cet équilibre affiché : l’humanité
n’est que poudre aux yeux.
La circulaire interministérielle «
relative à l’anticipation et à l’accompagnement des opérations
d’évacuation des campements illicites » signée le 22 août, à l’issue
d’une réunion simulacre de consultation des associations, illustre
parfaitement cette stratégie qui soigne d’autant plus la forme qu’il
s’agit de faire oublier le fond. Comme les déclarations d’intention qui
l’ont précédée et accompagnée, elle pourrait faire illusion ; mais à
mieux y regarder on s’aperçoit qu’à part le style rien ne change : ni
les objectifs, ni les moyens d’action – et encore moins les pratiques.
Le
diagnostic « global et individualisé » préconisé par la circulaire en
préalable à toute évacuation ? Il reste inexistant. Pas de quoi
s’étonner puisque le texte prévient que ce diagnostic « pourra être plus
ou moins complet en fonction du temps et des ressources disponibles ».
La
prise en charge « sans délai et avec un souci de continuité [des]
enfants présents dans les campements » ? Encore un affichage sans
contenu réel puisque les évacuations remettent en cause tous les efforts
de scolarisation, en atomisant, sinon en stoppant net, les parcours
scolaires.
Favoriser l’accès à l’emploi ? Objectif illusoire aussi
longtemps que cet accès sera subordonné à une procédure longue et
dissuasive d’autorisation de travail, qu’il n’est prévu que d’assouplir à
la marge avec la promesse d’augmenter la liste des métiers accessibles
et de supprimer la taxe due par les employeurs. Le gouvernement se
refuse à satisfaire l’une des principales revendications des
associations qu’il dit vouloir écouter : aligner sans attendre le statut
des Bulgares et Roumains, Roms ou non, sur celui des autres citoyens
européens.
L’ensemble de la circulaire traduit le recours constant à
ce double langage qui montre bien que les objectifs d’« humanité »
assignés aux préfets restent théoriques, faute de mesures et de moyens
pour les atteindre concrètement. Comment prendre au sérieux la volonté
déclarée d’« humanité dans la prise en charge des personnes roumaines et
bulgares vivant sur des campements illicites » dès lors qu’on continue à
procéder aux évacuations et aux destructions de biens sans avoir mis
préalablement en place des dispositifs d’« humanisation » bien réels,
par exemple en réquisitionnant des terrains du domaine public, en
organisant la fourniture d’eau, l’accès à des toilettes et la gestion
des déchets, en veillant au respect des obligations des collectivités en
matière de scolarisation des enfants ?
Le Gisti ne s’attendait pas à
ce que l’arrivée d’un nouveau gouvernement se traduise par un
retournement complet de la politique d’immigration. Mais, comme tous
ceux qui défendent les droits de l’Homme, il espérait malgré tout une
rupture avec les pratiques les plus scandaleuses des gouvernements
précédents. Or, rien ne change, pas même la brutalité.
Le 11 septembre 2012