Isaac Joshua est économiste et membre du Conseil scientifique d’Attac. Dans cet article, il propose une typologie des crises capitalistes depuis 1825, permettant de situer la crise présente dans l'histoire longue du capitalisme.
Voilà maintenant plus de 5 ans que la chute de Lehman Brothers a donné le signal de départ de la première grande crise du 21ème siècle. Déjà particulièrement longue, cette crise ne semble pas près de s’arrêter. Déplaçant son épicentre (des Etats-Unis vers l’Europe), changeant de forme (d’une crise financière à la crise de la dette), elle est toujours là. Comment la situer par rapport à la longue série des effondrements qui ponctuent l’existence du capitalisme ? Jean Lescure avait noté que 1825 est l'année "de la première crise générale de surproduction digne de ce nom". Dans le premier tome de son livre Des crises générales et périodiques de surproduction (1938), de 1825 à la Première Guerre mondiale, il avait compté 11 crises de ce type (1825; 1836-39; 1847; 1857; 1866; 1873; 1882-84; 1890-93; 1900; 1907; 1913-14), avec une périodicité oscillant entre 7 et 10 ans. Il est, depuis, admis qu’on peut parler pour cette période d’une régulation concurrentielle (au sens où prédominent les phénomènes de marché), et ce surtout à partir de la crise de 1847. Il serait intéressant de faire ressortir les traits principaux de ces courbes à l'allure de montagnes russes et de situer la crise actuelle face à ces fluctuations, ce que je me propose de faire dans les quelques pages qui suivent.
La régulation concurrentielle : des crises du premier type
Commençons par la phase descendante de la crise. La destruction de capital bat son plein (liquidation de sociétés, fermeture d’usines, mise au rebut d’équipements, etc.). Les faillites s’enchaînent, se multiplient, se comptent par milliers, qu’il s’agisse de la banque, de l’industrie, du commerce.
Pourtant, le profit, bien qu’au plus bas, se reconstitue peu à peu. D'abord, par la baisse des coûts des facteurs suscitée par l'effondrement de l'activité : intérêts, rente, prix des matières premières, mais surtout salaires. C’est ainsi qu’au cours de la crise de 1873 on constate une forte baisse des salaires aux Etats-Unis dans les compagnies de chemin de fer: -10% ou encore -20%. Forte baisse des salaires également constatée en France au cours de la crise de 1882, ainsi qu’aux Etats-Unis, où la chute atteint 25 à 30% dans l’industrie textile, 15 à 22% dans la métallurgie. Une forte baisse des salaires est à nouveau enregistrée lors de la crise de 1890-93, un affaissement qui va jusqu’à -20% dans les industries minière, métallurgique et textile aux Etats-Unis. Lors de la crise de 1907, la baisse des salaires est de 15% en moyenne aux Etats-Unis et grimpe jusqu’à 40% en février 1908 dans les entreprises relevant du trust de l’acier. La Première Guerre mondiale ne met pas un terme à cette mécanique : ainsi, après la crise de 1921, le salaire réel moyen de 1922 est, en Angleterre, inférieur à celui de 1913.
Parallèlement à cette chute du coût des facteurs on note une amélioration de la productivité qu'entraîne d'un côté l'intensification accrue du travail d'une main-d'œuvre rendue docile par le chômage et de l'autre la mise en fonction de nouveaux procédés et équipements.