BRUXELLES EST-ELLE, POUR UNE FOIS, CAPABLE D’ECOUTE?
Aminata Dramane Traoré Et Nathalie M’Dela-MounierAuteures de L’Afrique mutilée, Taama Editions,2012FORAM (Forum pour un Autre Mali)www.foram-mali.org
Bamako le 22 avril2015
L’INFERNALE COMPTABILITÉMACABRE
Assez ! Trêve de diversion !
Ils sont, ils étaient, ils seront des centaines, des milliers, des centaines de milliers à partir pour ne jamais arriver. Et comme d’habitude, après le temps de l’émotion et de l’indignation viendra celui de l’oubli et de l’indifférence. Ils sont, ils étaient, ils seront tous oubliés parce que des politiques économiques inégalitaires et assassines continueront à secréter le chômage et la pauvreté de masse, les conflits armés et le réchauffement climatique.
Au cours des vingt dernières années, presque 30 000 personnes ont péri aux portes de l'Europe dont 3 500 en 2014. Depuis le début janvier de cette année 2015 que l’Europe a proclamé « l’année du développement », on estime à 1700 le nombre de morts, voire plus car cette compatibilité macabre est hasardeuse.
L’Europe ne peut contribuer à remédier à cette tendance mortifère de l’évolution du monde globalisé qu’en admettant ce que Michèle Rivasi, députée européenne du partiEuropeEcologielesVerts(EELV),rappelleàproposduMali:«lanécessitéd’analyserl’échecdudéveloppement économique qui a délégitimé la démocratie. Les jeunes quittent le pays car ils n’y ont pas d’avenir. Pourtant, le Mali a des atouts dans le secteur agricole ou minier». Cette remarque est valable pour les conflits armés : les jeunes prennent également les armes au nom de l’ethnie ou de la religion quand le développement économique ne tient pas ses promesses.
ENCORE UN SOMMET ! ET CETTE FOIS CI, ENTRE SOI ?
D’un sommet à l’autre, les dirigeants occidentaux et africains ont cautionné l’idée selon laquelle le développement pourvoira aux besoins du continent, dont ceux des candidats à l'émigration. Il en a été ainsi à l’occasion des conférences euro-africaines de Rabat (juillet
2006), de Tripoli (novembre 2006), de Ouagadougou (mai 2008), de Paris (novembre 2008)
… Cette fois ci, les Européens sont entre eux. Dans l’urgence, ils ont décidé de se réunir à Bruxelles pour des solutions d’urgence. Chaque Etat ergote, botte en touche et passe à son voisin. On traite, on sous-traite, on assigne à résidence, on externalise, on envisage un archipel de camps de rétention loin des yeux, loin des droits, même si le cœur n’y est pas…Les dirigeants africains qui se laissent persuader que notre tour de profiter de la «mondialisation heureuse » est venu et, qu’il leur suffit d’accélérer le rythme de la croissance en la portant de 5% à 8 ou 9 % vont devoir tempérer leur ardeur. Les jeunes subsahariens, par leur mort dans le désert ou en mer, les interpellent au même titre que l’Europe. Au-delà de ces deux continents, les Etats-Unis d’Amérique et l’organisation des Nations-Unies (ONU) sont concernés par cette hécatombe qui vaut à elle seule le bilan des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) qui s’achèvent cette année. Les dirigeants européens voudront-ils l’interpréter en ces termes ?
NON ! LES PASSEURS NE SONT PAS LES PREMIERS FAUTIFS
Le jeune tunisien de 27 ans et ses deux camarades qui ont été arrêtés doivent indiscutablement répondre de leurs crimes. Mais les passeurs ne constituent que le dernier maillon d’une longue chaine de responsables. D’ailleurs, par le passé, les migrants eux- mêmes étaient traités de « terroristes ». Parce qu’il est politiquement incorrect d’avancer un tel argument face à tant d’êtres humains désespérés venant de tant de lieux différents, on met le curseur sur la responsabilité des passeurs. Ils seraient les premiers fautifs à réprimer.