Bernard Stiegler
Pour Bernard Stiegler, l’hyperconsommation a changé le rapport que nous entretenons avec l’art et la culture en remplaçant le désir par la pulsion. Le philosophe estime qu’il faut se saisir d’urgence des nouvelles technologies pour réinventer la figure de l’amateur. Mais aussi pour soutenir le développement d’une économie de la contribution basée sur la coopération et le partage des savoirs.
Une tâche à laquelle il s’attelle concrètement en tant que directeur de l’IRI (Institut de Recherche et d’Innovation) qu’il a créé en 2006 au sein du Centre Georges Pompidou, mais aussi via l’association Ars Industrialis, association internationale pour une politique industrielle des technologies de l’esprit.
AS : Vous expliquez que le capitalisme contemporain est destructeur. Pour quelles raisons ce dernier serait-il plus délétère que le capitalisme du XIXe siècle, par exemple ?
Bernard Stiegler : Je ne dis pas que le capitalisme est plus mauvais aujourd’hui, je dis qu’il est plus destructeur. Mais il faut rappeler ce qu’est le capitalisme. Cela a été très bien montré par Marx : le travail est constitué par la mesure du temps. Le capitalisme repose avant tout sur une mesure, un calcul. Cela a conduit, au XIXe siècle, à prolétariser les travailleurs manuels, c’est-à-dire à transformer leurs savoirs en procédures implantées dans les machines. Ils ne sont alors plus des travailleurs mais des serviteurs des machines venues les doubler. Le capitalisme, au XXe siècle, a transformé les modes de vie à travers les industries culturelles en faisant à peu près ce qui s’était passé dans les usines au XIXe siècle : le capitalisme transformait le travail des ouvriers en procédures de prolétaires. Un ouvrier est quelqu’un qui développe un savoir-faire et une singularité dans la réalité sociale et spatiale.