par Saïd Bouamama
26 octobre 2018
« Irak, Syrie, Centrafrique, Sahel, les opérations militaires extérieures (OPEX) sont devenues une composante structurelle de l’activité opérationnelle des armées, en particulier de l’armée de terre ». C’est ainsi que le site officielle du gouvernement « Vie publique » qualifie les interventions militaires françaises à l’étranger. Le qualificatif de « structurel » est particulièrement pertinent pour l’Afrique qui a été le théâtre de près de 60 interventions militaires françaises où dans lesquelles la France est impliquée depuis les indépendances. Il reflète également la place centrale du militaire dans les rapports qui se mettent en place lors des indépendances entre l’ancienne puissance coloniale et les nouveaux États indépendants. La carotte de la « coopération » ne suffisant pas à assurer la pérennité du lien de dépendance, le bâton reste « une composante structurelle » pour la défense des intérêts français en Afrique. Le bâton des OPEX sert de chantage et de dissuasion pour ceux qui seraient tentés par une politique plus conforme aux intérêts des peuples africains d’une part et d’outil de nettoyage pour ceux qui ont osés se détourner du droit chemin français.
Les accords spéciaux comme acte de naissance
Tous les accords de coopération signés au moment de la décolonisation comportent un volet militaire intitulé « accord de défenses ». Ces accords constituent un pivot du processus de décolonisation néocoloniale initié par le Général De Gaulle. L’ancien responsable du secteur Afrique de 1958 à 1968 du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE), Maurice Robert rappelle comme suit les modalités de préparation des indépendances de la décennie 60 en Afrique subsaharienne :
Il me fallait évaluer l’importance des mouvements indépendantistes et leur impact sur les populations, surveiller les ingérences étrangères et l’aide apportée à la subversion – je rappelle que nous étions en pleine guerre froide -, repérer les Africains susceptibles de jouer un rôle politique dans leur pays, en distinguant ceux favorables à la France, afin de nouer rapidement des relations de confiance avec eux, et ceux qui nous étaient hostiles, afin d’anticiper et de prévenir les dangers de déstabilisation qu’ils pouvaient représenter. Je devais éviter que les autorités françaises ne fussent surprises par des évènements de nature à compromettre nos intérêts politiques et économiques et être à l’affût de toute opportunité qui permettrait de conforter, de développer notre influence [1].
Une fois installés au pouvoir les chefs d’Etats « favorable à la France » devaient être protégés. Les « accords de défense » sont l’outil premier de cette protection. Tous les accords de défense étant conçus selon le même schéma, nous pouvons en dégager les cinq constantes : la formation par la France des cadres militaires africains ; le monopole de la fourniture des armes pour l’ancienne puissance coloniale ; la priorité de l’accès aux matières premières stratégique accordée à Paris (Celles-ci sont entendue comme suit : hydrocarbures liquides ou gazeux, uranium, thorium, lithium, béryllium, hélium, etc.) ; droit d’installation de bases militaires ; droit de faire appel aux forces armées françaises pour la défense intérieure ou extérieure.
La cinquième constante est à l’évidence la contrepartie française aux quatre premières qui ne sont que des facilités accordées aux armées françaises. D’autres facilités sont d’ailleurs à noter dans ces accords du début de la décennie 60 comme par exemple l’immunité des militaires français au regard de la loi nationale. Les conditions de cet appel à l’armée française sont renvoyées à des « accords spéciaux » qui ne sont pas rendus publics. L’article 2 d’un de ces accords, précise : « la République de Côte d’Ivoire, la République du Dahomey et la République du Niger ont la responsabilité de leur défense intérieure et extérieure. Elles peuvent demander à la République Française une aide dans des conditions définies par des accords spéciaux [2]. » Le secret des « accords spéciaux » n’est pas illégal du fait du décret 53 192 du 14 mars 1953 qui précise dans son article 3 : « les conventions, accords, protocoles ou règlements […] de nature à affecter, par leur application, les droits ou les obligations des particuliers, doivent être publiés au Journal officiel de la République française [3]. ». L’obligation de publicité ne concerne donc que les accords de nature à affecter les droits et obligations de français. La formule est suffisamment large pour justifier légalement tous les secrets souhaités. L’expression « accords spéciaux » n’est qu’une traduction euphémisée « d’accords secrets ». Terminons sur ces accords secrets en rappelant qu’ils ne sont pas l’exception mais la règle. Un rapport d’information à l’Assemblée nationale sur les « opérations extérieures [4] » daté de 2000 précise que seuls 39 accords ont été publiés au Journal officiel sur les 90 en vigueur.