27 janvier 2011
http://www.michelcollon.info/Pour-100-des-musulmans-les.html
Pour 42% des Français, la « présence musulmane » est « plutôt une menace » : c’est ce que vient de nous apprendre un sondage réalisé par l’IFOP pour le journal Le Monde. On a raison de s’en alarmer, mais pas d’être étonné-e : l’islamophobie progresse, ou plus précisément elle s’épanouit, se lâche, s’exprime en toute bonne conscience. Par voix de sondage pour les 340 personnes (42% des 809 sondés) qui ont accepté de répondre aux questions bêtes et méchantes de l’IFOP et de choisir la plus violente des réponses proposées, mais aussi de mille autres manières, au quotidien : regards hostiles, propos injurieux, discriminations… Sans parler des formes les plus haut-de-gamme, celles qui précèdent, préparent et légitiment toutes les autres : la stigmatisation politique, éditocratique, journalistique… et sondagière.
Il est bon de le rappeler : les sondages sont rarement neutres. Tous les scientifiques le savent : un instrument d’observation peut avoir un impact sur la réalité qu’il est censé enregistrer de manière objective, et même produire cette réalité – et c’est par excellence le cas des sondages d’opinion [1].
C’est le cas, tout particulièrement, du sondage de l’IFOP, pour la simple raison, d’abord, que ce sondage est performatif : le simple fait de poser la question d’une éventuelle « menace islamique » contribue à semer le doute, inquiéter, et donc donner consistance à ladite menace. Chacun-e a déjà pu l’expérimenter : le meilleur moyen de susciter la peur dans une situation anodine, par exemple à la tombée du jour ou en cas de coupure de courant, est de poser la question de la peur. Que l’on demande « Tu as peur ? » ou qu’on affirme « Moi je n’ai pas peur », ou même qu’on déclare qu’« Il n’y a aucune raison d’avoir peur », le message implicite est le même : « Tu pourrais avoir peur », et il y a donc bien, en réalité, des raisons d’avoir peur.
Texte
Le sondage de l’IFOP est d’autant plus anxiogène qu’il ne dit pas, loin s’en faut, qu’il n’y a aucune raison d’avoir peur. Par les mots qu’il utilise, il construit au contraire, de manière discrète mais d’autant plus pernicieuse, une scène belliqueuse sur laquelle s’opposent d’un côté « la France », « notre pays », et de l’autre la spectrale « présence » d’une étrange « communauté musulmane » :
« Diriez-vous que la présence d’une communauté musulmane en France est :
plutôt une menace pour l’identité de notre pays ;
plutôt un facteur d’enrichissement culturel pour notre pays ;
ni l’un ni l’autre. »
Aucun de ces mots n’est neutre. Parler d’une « communauté musulmane », tout d’abord, c’est immanquablement suggérer que les musulmans n’appartiennent pas à la communauté nationale, ou pas vraiment, ou pas loyalement : ce qui est faux et tendancieux – la plupart des musulmans vivant en France étant français, et rien (sinon le racisme) ne permettant de préjuger de leur manière d’être français.
Quant au mot « présence », il réactive, sous une forme à peine euphémisée, le sinistre « occupation » de Marine Le Pen qui a fait la une ces dernières semaines, en suggérant que ladite communauté musulmane forme un corps étranger, n’entretenant pas ou peu de relations avec le reste du pays. Ce qui, là encore, est tout simplement faux : les musulmans sont parfaitement intégrés dans la société française, fût-ce à des places subalternes dans la division du travail, et à la place du mort – je veux dire du bouc émissaire – dans le jeu politique et l’espace médiatique.
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