Ci dessous une tribune libre dans l'Huma d'Aurélie Trouvé, ingénieure agronome et co-présidente d'Attac-France qui conforte notre analyse que l'impact de cette crise sera au moins aussi grand pour le grand public que l'effondrement de l'Union soviétique. C'est peut-être aussi une chance pour la gauche française si elle parvient à saisir ce moment pour abandonner ses tentations "libérales", bref, c'est peut-être enfin l'heure de basculer du bon coté...
Basculer du bon côté
Par Aurélie Trouvé, ingénieure agronome, coprésidente d'ATTAC.
Au fur et à mesure que le capitalisme financier et la dérégulation des marchés s'étendent, les crises financière, sociale et alimentaire frappent les plus pauvres, accentuent la faim dans le monde et les inégalités mondiales, tandis que la part des richesses détenues par les plus riches ne cesse d'augmenter. La mise en concurrence aboutit à s'affranchir des limites écologiques, les ressources naturelles et l'alimentation deviennent des produits financiers soumis à l'avidité des investisseurs.
L'avenir nous dira si ces crises globales annoncent la fin du néolibéralisme, voire du capitalisme. D'ores et déjà, l'idéologie du laisser-faire est battue en brèche. Mais attention, la reprise en main de l'économie par l'État peut tout à fait amplifier le transfert des revenus du travail vers le capital et la destruction des acquis sociaux.
C'est ce qu'annoncent les actions prévues des différents gouvernements d'Europe et d'ailleurs : la socialisation des pertes et le maintien des bénéfices dans les poches des détenteurs de capitaux. L'enrobage du système financier par les mesures actuellement proposées est à cent mille lieues de pouvoir répondre à la globalité des crises.
Face à cette situation d'exacerbation extrême des contradictions du capitalisme financier, une chose est certaine : seuls les rapports de forces politiques détermineront de quel côté la balance penchera. Ces rapports de forces dépendent eux-mêmes de la capacité des mouvements citoyens à se mobiliser, à remettre en cause l'engrenage même de ces crises et à proposer des alternatives cohérentes. Plus encore que le désarmement des marchés financiers, ces alternatives demandent de repenser les fondements mêmes du capitalisme, autour de l'accès pour tous aux droits humains fondamentaux, une socialisation des moyens de production et une transformation profonde des modes deproduction et de consommation.
C'est donc un moment charnière pour la gauche. À elle de se
réapproprier une identité et un substrat idéologique, qui la
distinguent des projets politiques ne faisant qu'étaler une couche de
vernis social et écologique sur le système économique actuel. À elle de
prendre la mesure d'une crise écologique qui réinterroge toute sa
pensée et de l'articuler, sans l'opposer, aux exigences sociales. À
elle, enfin, de placer au coeur du débat les régulations aux échelons
européen et mondial.
Ainsi, en pleine présidence française de l'Union européenne, la gauche
en France devrait être entièrement mobilisée sur les conséquences
désastreuses de l'Europe néolibérale et sur son incapacité à répondre à
ces crises, dont elle est elle-même une des responsables majeures.
Parce que l'Europe pourrait être un « levier » pour remettre en cause
radicalement le système capitaliste financier à une échelle mondiale,
la gauche devrait également quitter définitivement la conception selon
laquelle les États-nations seraient un recours suffisant face à la
mondialisation néolibérale.
De la même façon, en plein coeur d'une crise géopolitique mondiale marquée par l'ébranlement de l'hégémonie américaine et les impasses des institutions internationales, la gauche ne peut se passer, au centre de son projet, de propositions pour une nouvelle régulation mondiale, fondée sur la coopération et la solidarité et répondant à des enjeux (écologique, alimentaire, énergétique`) qui ne peuvent être réglés qu'à cet échelon. Une telle bataille, fondamentale, passe par la construction progressive d'un espace public et de luttes sociales à l'échelle européenne et internationale, en particulier celles mettant en jeu les relations entre le Nord et le Sud.
Dans une phase d'incertitude sur le nouveau modèle à venir, pendant laquelle les classes dominantes s'accrocheront plus que jamais à leurs privilèges, les rapports de forces construits par la gauche doivent être suffisamment cohérents, mais aussi suffisamment larges pour peser. Les transformations profondes de la société se sont toujours appuyées sur de vastes mobilisations sociales, qui dans tous les cas ne peuvent se réduire aux échéances électorales et au jeu des recompositions politiques. La gauche doit pouvoir se nourrir de la grande diversité des mouvements sociaux, écologistes, féministes, anti-impérialistes, qui convergent aujourd'hui dans l'espoir d'un autre monde. À tous ces égards, l'altermondialisme, né il y a une dizaine d'années en même temps que le développement de ces crises globales, est un creuset d'idées et de convergences pour la refondation d'une gauche citoyenne, associative, syndicale, politique, qui prendrait la mesure du basculement actuel.
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