http://www.humanite.fr/Ma-rencontre-avec-Salah-Hamouri-par-Jean-Claude-Lefort
Le député honoraire Jean-Claude Lefort a pu rencontrer, pour la seconde fois, Salah Hamouri, détenu en Israël. Il livre son récit à humanite.fr.
"Devant séjourner dans la région au début du mois de février, j’ai obtenu l’accord de rendre une seconde visite à Salah Hamouri, cette fois dans sa « nouvelle » prison à Gilboa, grâce à notre Ambassade de France à Tel-Aviv et à notre Consulat général à Haïfa que je remercie sincèrement tous les deux pour leur attention et leur efficacité.
La date fixée pour cette rencontre m’est communiquée par nos diplomates : ce sera le jeudi 5 février. L’heure aussi est précisée : 10 heures du matin.
Me trouvant à Jérusalem, c’est-à-dire assez loin de la prison où il se trouve actuellement à Gilboa, au nord-est d’Israël, entre le lac de Tibériade et la frontière syrienne, et que, d’autre part, la Consule générale de France à Haïfa doit m’accompagner, nous convenons que je serai la veille au soir à Haïfa et que nous partirons ensemble le lendemain matin à 9 heures. Une heure de route en voiture étant en effet nécessaire pour rejoindre la prison.
Je rejoins donc Haïfa le 4, comme convenu. Je passe la nuit dans un hôtel situé sur les hauteurs de la ville. La vue plongeante est superbe sur Haïfa et la mer qui lèche cette ville étincelante, d’un bleu intense. Il fait beau mais frais.
Le lendemain, à 9 heures précises, Madame Forgeron, la Consule générale, vient me chercher devant l’hôtel. Salutations. Remerciements. On monte dans la voiture dans le coffre de laquelle elle dépose, avant de partir, un joli petit sac contenant 8 livres et des hebdomadaires français. Pour Salah.
Une heure de route nous attend. Madame Forgeron me fait découvrir les endroits que nous traversons avec des commentaires appropriés. Nous arrivons à l’heure dite à la prison qui émerge tout d’un coup devant nos yeux. Une prison qui, par définition, n’a rien de vraiment avenant : barbelés, miradors, hauts murs gris d’enceinte, couleur triste au possible.
Nous nous présentons à la porte réservée où nous déclinons nos identités à un gardien qui, prévenu, nous laisse entrer. Dépose de nos passeports et de nos téléphones portables. Question (absurde) traditionnelle : « Avez-vous des armes sur vous ? » Et nous arrivons dans un petit espace gazonné entouré de bungalows de fortune servant aux gardiens et à l’administration.
On nous prépare un bureau où trois chaises sont installées : deux d’un côté du bureau et une, pour Salah, de l’autre côté.
Quelques minutes s’écoulent et nous voyons Salah qui arrive par une porte donnant sur la prison que nous ne voyons pas. Il est libre de ses mouvements, entouré de gardiens. Nous nous embrassons chaleureusement d’autant que ses parents, rencontrés la veille, ne peuvent le faire quand ils vont le voir. Une vitre les sépare. Ils communiquent avec un combiné téléphonique. Je l’embrasse donc une seconde fois, de leur part…
Salah entre dans le bureau et s’assied à la place qui lui est « réservée », les livres sont sur la table. Un dialogue commence alors en hébreu entre Salah et les gardiens qu’il regarde droit dans les yeux. Il y a visiblement un problème avec les livres. Il nous le confirme. Salah parle hébreu assez couramment maintenant. Il a choisi de le faire car les cours qu’il suit en prison sont donnés dans cette langue. De toute façon il nous dit vouloir parler et comprendre cette langue.
Autorisation n’est pas donc donnée de donner les 8 livres. J’en sors un du sac, « Le talon de fer » de Jack London, pour qu’au moins il en garde un. Refus. La Consule générale fait observer aux gardiens qu’il ne s’agit non pas d’un livre politique mais « seulement » d’un roman d’un écrivain célèbre dont ils peuvent facilement vérifier la réelle existence sur « Internet ». Rien n’y fait.
On nous expliquera à la fin de notre entrevue avec Salah, texte et papier à l’appui, qu’une « loi » nouvelle a été décidée, le 30 octobre, par les autorités pénitentiaires centrales concernant la possession de livres pour les prisonniers. Ils ne doivent pas avoir plus de deux livres avec eux dans leur cellule, dont un « religieux » ! Nous devons en prendre acte. Pas le choix.
Avant de retirer les livres du bureau où nous sommes avec Salah, celui-ci peu toutefois prendre les petites messages écrits qui sont glissés entre les pages. Salah est content de pouvoir les avoir avec lui. Il nous explique d’ailleurs que tous les messages qu’il reçoit sont traduits préalablement en hébreu par l’administration et les passages présentant une connotation politique aux yeux du gardien lecteur sont surlignés au feutre jaune.
Il s’en est aperçu car une fois on lui a apporté une série de lettres et, par erreur, il y avait aussi une page avec la traduction des messages et des surlignages jaunes réservés normalement à la direction de la prison…
Notre discussion commence. Salah, qui était averti d’une possible visite, me dit d’emblée que : « Cette fois je me suis préparé ». Il veut évoquer trois questions.
Il commence mais je l’interromps pour lui donner d’abord des nouvelles de ses parents qui m’ont demandé de le faire, spécialement des nouvelles sur la santé de son père qui a quelques « ennuis » cardiaques. Je rassure Salah : les nouvelles sont bonnes. Il est soulagé.
Il commence à parler. Il en a tellement envie. D’autant qu’il s’est préparé…
La première chose qu’il tient à dire c’est de remercier, en son nom mais aussi au nom des prisonniers qui savent notre rencontre, le mouvement de solidarité qui s’est constitué autour de lui. Il insiste beaucoup et fortement sur ce point, non sans une émotion visible dans ses grands yeux toujours aussi bleus. Tous ces messages connus de lui le sont également par les autres prisonniers qui savent, du même coup, qu’il y a des gens actifs et solidaires qu’ils ne voient pas, derrière ces grands murs qui les enserrent, qu’ils ne connaissent pas, vivants de l’autre côté de la mer, en France.
Ces messages sont des trainées de poudre d’espoir qui traverse la prison.
Une prison composée de 8 bâtiments de 120 détenus répartis dans des cellules où ils sont huit et répartis selon leurs affiliations politiques réelles ou supposées.
Salah nous dit : « Ce sont des rayons de soleil qui entrent dans nos cellules noires ». Visiblement ce n’est pas rien ni second. Je songe à ces paroles : « Nous souffrons d’un mal incurable qui s’appelle l’espoir. Espoir de libération et d’indépendance. Espoir d’une vie normale où nous ne serons ni héros, ni victimes. Espoir de voir nos enfants aller sans danger à l’école. Espoir pour une femme enceinte de donner naissance à un bébé vivant, dans un hôpital, et pas à un enfant mort devant un poste de contrôle militaire. Espoir que nos poètes verront la beauté de la couleur rouge dans les roses plutôt que dans le sang. Espoir que cette terre retrouvera son nom original : terre d’amour et de paix. Merci pour porter avec nous le fardeau de cet espoir. » Ainsi parlait le poète palestinien disparu trop tôt, beaucoup trop tôt, Mahmoud Darwich.
Cette lueur d’espoir il nous faut continuer à la propager dans ce lieu sinistre. C’est une première conclusion qui s’impose à moi et que je livre à tous.
Puis Salah aborde le second point qu’il veut à tout prix aborder : Gaza. Il nous explique longuement comment tous les prisonniers de toutes « tendances » ont suivi ces tragiques événements.
Il y a des télés de disponibles dans des espaces réservés où plusieurs chaines en arabe sont accessibles.
Il parle et parle encore de ces massacres auxquels ils ont assisté en direct. Salah ne dit plus « je » mais « nous » pour dire les choses et parler de ces événements. Je lui demande pourquoi soudainement il dit « nous ». Il me répond qu’il fait part « de l’opinion de la grande majorité des prisonniers. » D’accord Salah !
Il explique, de manière très structurée, les causes et l’enchainement de ces événements qui se sont déroulés à Gaza.
Pas d’hésitation pour lui et ses camarades, ils sont aux côtés de la population gazaoui qui ne dispose que de peu de moyens pour réagir contre leur sort infligé.
Non pas qu’il soutienne personnellement stricto sensu les actions du Hamas mais il soutient l’exigence de résistance. Il compare. Non sans une certaine pointe d’ironie il nous dit : « A-t-on jamais demandé au général de Gaulle de renoncer à résister ? » Il nous dit que c’est l’histoire l’enseigne de manière certaine et que : « Aucun peuple n’a jamais et ne pourra jamais accepter une occupation étrangère et renoncer à ses droits et à la dignité. Il faudra bien, même s’il y faudra du temps, que le peuple palestinien dispose d’un Etat. C’est une certitude. Quand à moi, j’ai appris, ici en prison, que mon chemin était désormais clairement tracé : je suis et je serai aux côtés de mon peuple pour sa libération. »
Il a sacrément mûri, Salah, depuis notre dernière rencontre, il y a un an.
Il continue en dénonçant le « deux poids, deux mesures » dont la politique s’applique au Proche-Orient. « Des résolutions ont été votées à l’ONU qui sont claires, et elles ont été votées depuis longtemps, mais pourquoi ne sont-elles pas mises en œuvre ? Pourquoi ? Pourquoi ce qu’a dit le Président Sarkozy à la Knesset sur la nécessité de créer un Etat palestinien ne soit pas suivi d’effets concrets ? Pourquoi ? ». Il enfonce le clou avec beaucoup d’assurance, de véhémence et de conviction.
Il est littéralement outré. Mais il a aussi réfléchi. Travaillé. Recherché. C’est évident. Il ne parle pas en l’air « notre » Salah qui aura 24 ans bientôt, le 25 avril prochain tandis qu’il aura fait malgré son jeune âge, si rien ne se passe, 4 ans de prison le 13 mars prochain.
Je lui dis que je ressens qu’il « a la rage » en lui. Il répond : « Oui car c’est trop injuste alors que notre cause est juste. Mais j’ai aussi du courage car ce que je vois et ce que je sais est trop injuste. Tout cela ainsi que votre solidarité me donnent vraiment beaucoup de courage ! »
De la rage et du courage… Deux mots qui résument l’état d’esprit solide dans lequel j’ai trouvé Salah, ce 5 février, un an après notre première rencontre, le 18 février 2008.
Salah parle longuement de Gaza et développe des idées plus larges. Je n’ai pas de magnétophone, évidemment. Je ne peux donc que fouiller dans ma mémoire pour retrouver ses mots qui s’y sont gravés. La discussion, car nous nous interrompons amicalement, nos sourires échangés, notre connivence établie, laissent place nette à la franchise et aux propos directs.
Gaza l’a marqué au fer rouge. Il ne décolère pas.
Il veut aborder un troisième sujet tandis que le gardien qui nous observe de l’extérieur, la porte étant ouverte, nous fait signe que l’heure de nous séparer approche. Nous avons déjà passé une heure ensemble.
Le troisième point qu’il veut à tout prix évoquer, c’est Guilad Shalit. Il n’est pas tendre sur le fait qu’on refuse à sa mère d’être reçue à l’Elysée. C’est encore pour lui, comme pour nous, une source d’indignation. Il ne conteste pas que l’on cherche à libérer Guilad Shalit, non. Son problème est autre : pourquoi on ne traite pas son cas avec autant d’attention et une égale mobilisation en haut lieu ? Il comprend que ce n’est pas sans raison mais il interroge : « Sait-on au juste ce qu’a fait Guilad Shalit avant sa capture en juin 2006 ? Et qu’aurait-il fait à Gaza s’il avait été libre, lui qui est caporal de l’armée israélienne ? » Salah, lui, n’a rien fait. Et il a écopé de 7 ans de prison.
Je lui explique à ce propos qu’il nous faut beaucoup expliquer cette « histoire » de « plaider coupable » car officiellement on se réfugie constamment derrière le jugement rendu par le tribunal militaire qui comporterait des « aveux » de sa part. Il proteste avec force : « Je n’ai jamais rien avoué quoi que ce soit de ce dont on m’accuse. Mon avocate à fait sa plaidoirie et moi je n’ai dit qu’une chose, à savoir que je n’avais rien à ajouter à ce qu’elle avait dit. »
Je lui réponds que je sais bien tout cela mais que n’empêche…
Il répond : « Mais quand on sait comment cela se passe ici, je n’avais aucun autre choix possible pour éviter le pire. Mais non je n’ai rien avoué car je n’ai rien fait de ce dont on m’accuse. Rien du tout, d’ailleurs où sont les preuves, les actes que j’aurais commis ? Il n’y a rien, rien du tout ! Et on voudrait aussi peut être que je présente aussi des excuses ? Franchement… Je sais bien pourquoi je suis enfermé en prison. C’est vrai que je n’accepte pas l’occupation ! Mais est-ce un délit ? Un délit méritant en plus 7 ans de prison ? »
Il ne semble pas se faire d’illusion sur son sort. Il me paraît convaincu qu’il purgera l’intégralité de sa peine. Il n’est pas dupe, je le sens, qu’on ne fera pas pour lui les démarches qui pourraient être faites. Je sens cela dans ses yeux légèrement embrumés desquels percent la colère et un esprit de combattant.
Je lui dis tout ce qui a déjà été fait « pour lui ». La mise en place d’un Comité national de soutien qui rassemble des personnes de tous les horizons politiques. Il sait tout cela Salah. Ses parents le tiennent informés. Et il remercie à nouveau, encore et encore, tous ceux qui se sont mobilisés. Il ne cesse de remercier à vous donner des frissons tandis que le gardien intervient pour mettre un terme à l’entretien qui aura duré une heure et quart.
Je l’embrasse de nouveau plusieurs fois, dont une de la part de ses parents. On se serre l’un contre l’autre, comme des hommes. Debout. Il s’éloigne. Il se retourne constamment. On se fait des signes d’au-revoir pleins d’amitié, de fraternité mais aussi de confiance. Il disparaît cette fois derrière la porte qui mène à sa prison, non sans m’avoir auparavant lancé une dernière œillade souriante et complice.
Avec Madame la Consule générale nous quittons la prison après avoir récupéré passeports et téléphones. Un silence « naturel » s’installe entre nous deux. On ne sort pas indemne d’une telle rencontre.
Le lendemain, de retour à Jérusalem, je vois ses parents pour leur rendre compte de cette visite. Je leur dit que j’ai trouvé Salah très solide et combattif. Nous parlons de la suite à donner à l’action entreprise. Nous tombons vite d’accord sur le fait de poursuivre le combat en sa faveur sans lequel aucune « bonne nouvelle » ne viendra.
Je rentre à Paris le mercredi suivant. M’attend une grosse pile de courrier. Une enveloppe notamment marquée comme provenant de « La Présidence de la République ». J’ouvre et trouve une lettre du Chef de cabinet du Président Nicolas Sarkozy. Je lis. Il répond « à la place du Président » à un courrier que je lui avais envoyé – au Président pas à lui – et dans lequel je mettais en évidence le fait que si le père de Guilad Shalit avait été reçu trois fois par lui, il se refusait à recevoir les parents de Salah et aussi les parlementaires membres du Comité national de soutien.
Je disais dans mon courrier que cette attitude n’était pas acceptable et insistait pour qu’il reçoive les personnes qualifiées – parents ou parlementaires impliqués – pour défendre le cas de Salah Hamouri.
Le Chef de cabinet me répond qu’il « n’est pas pertinent » de comparer Shalit et Salah. Comme si il voulait, malgré lui, donner raison à ce que nous nous étions dit avec les parents de Salah, à savoir que seule l’action pour faire connaître son cas et obtenir sa libération est de nature à modifier la donne.
C’est pourquoi je m’autorise à lancer un appel après cette visite rendue à Salah qui ne peut que nous conforter dans la justesse de notre action.
A tous les collectifs créés, à toutes les personnalités engagées, à tous les parlementaires membres du Comité de parrainage, à tous les militants de la justice et du droit je me permets de dire : Amis, il nous faut amplifier la mobilisation par tous les moyens et en multipliant toutes les initiatives possibles.
Ce n’est pas un appel de détresse. C’est un appel qui porte l’espoir !
Continuons, amplifions ! Et nous sortirons Salah de prison, de là où il n’aurait jamais eu du être si les mots « justice » et « droit » avaient un sens du côté de ceux qui l’ont condamné.
Mais ils peuvent toujours avoir enchainé les mains de Salah, ils ne peuvent enchainer ni sa conscience ni la notre ! La vérité et la justice sont de notre côté. Alors, surtout, le lâchons pas prise. La vérité s’imposera, et avec elle la justice, avec la libération de Salah Hamouri, notre compatriote."
Jean-Claude Lefort
Le 15 février 2009
(L’Humanité du 18 février)
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