14 août par Pascal Franchet
http://www.cadtm.org/La-Grece-l-Europe-et-le-CADTM
Interview en grec
Interview de Pascal Franchet au quotidien grec (le plus important) Eleftherotypia (13 Aout 2010)
On se trouve face à une crise de la dette qui frappe les pays les plus faibles de la zone euro. A quoi ceci est-il dû ?
Ce
n’est pas dû au hasard, si après l’Irlande, la Lettonie, la Lituanie,
la Hongrie et l’Islande, la crise de la dette frappe aujourd’hui les
pays les plus faibles de la zone euro dont la Grèce. Cette situation est
intimement liée à la nature de l’Union Européenne et à l’impasse du
capitalisme pour sortir de la crise globale mondiale.
La
construction de l’UE s’est faite au profit de la France et de
l’Allemagne qui ont décidé les critères « du pacte de stabilité » (sans
les respecter eux-mêmes) au détriment de la périphérie sud de l’eurozone
devenue le « maillon faible » de cette union.
L’Union monétaire et
les traités constitutionnels ont bridé les politiques budgétaires et
abolit l’indépendance monétaire des états.
La fiscalité des
entreprises et des ménages fortunés a été réduite à sa plus simple
expression, générant des déficits publics considérables, eux-mêmes à
l’origine de l’endettement massif des Etats.
Le
néolibéralisme a privilégié depuis 30 ans la spéculation financière
contre l’économie réelle. Les dégâts sont considérables pour l’outil et
l’emploi industriels. Des millions d’emplois industriels ont été
détruits et l’appareil productif est aujourd’hui dans l’incapacité de
répondre aux exigences de profitabilité de ses propres dirigeants.
Relancer (entres autres avec l’argent public des plans de sauvetage) la
démence spéculative est la garantie absolue de la construction de
nouvelles bulles qui provoqueront des crises à répétition et qui
risquent fort de plonger le monde dans un gouffre sans précédent.
Dans l’immédiat, il s’agit pour les nantis de faire payer la crise aux salariés et à l’immense majorité de la population.
Si les premiers pays cités ont fait figure de « test » pour cette
stratégie, la Grèce constitue pour le capital un véritable laboratoire
de la régression sociale destinée à être généralisé aux pays riches de
l’UE. Les attaques concertées contre les dettes souveraines sont un
élément de cette stratégie.
Jusqu’il y a peu, plusieurs grands médias et les responsables de l’UE parlaient uniquement d’une crise grecque due a des falsifications de comptabilité, etc. Comment jugez-vous l’attitude de l’UE envers la Grèce ?
L’UE, qui
reproche à l’Etat grec d’avoir dissimulé une partie de son endettement,
fait preuve d’une belle hypocrisie en la matière. Elle feint, par médias
dociles interposés, de découvrir en 2009 un procédé utilisé en 2001
pour dissimuler l’ampleur des déficits publics grecs.
Les
comptes nationaux de la Grèce ont déjà fait l’objet de plusieurs
rectifications par Eurostat en 2003, 2004 et 2005 et cette pratique
répandue en Europe avait déjà été dénoncée en 2005 par le ministre grec
des finances de l’époque. Les ministres des finances de l’UE, dès 2000,
refusaient que soient publiés les recours aux produits dérivés.
Cette
« tricherie » (dissimuler des emprunts derrière une pseudo-transaction
monétaire) était chose habituelle pour nombre de pays européens et
n’avait rien de particulièrement secret.
L’UE, et plus
précisément les industriels allemands et français avaient aussi tout
intérêt à ce que la Grèce et d’autres pays « périphériques », intègrent
la zone euro. Ces 2 pays dominants de l’UE ont conçu cette intégration
comme une ouverture supplémentaire pour leurs excédents commerciaux.
Aujourd’hui, ce sont les mêmes qui spéculent contre la dette souveraine grecque…
Dernièrement, il y a un débat concernant la "cessation des payements". Est-ce une solution ?
Le
CADTM ne fait pas de l’annulation de la dette un dogme en soi. Il
considère que les citoyens doivent savoir à quoi ont servi les emprunts
de leurs Etats, de pouvoir dire avec précision si cet argent emprunté et
son remboursement ont eu pour objet une amélioration des conditions
sociales de leurs pays ou non.
Cette question est légitime
puisqu’in fine, ce sont les contribuables, ceux qui paient l’impôt
direct et/ou les taxes indirectes qui en rémunèrent le tribut.
Pour
y répondre, nous proposons un moratoire unilatéral (sans accumulation
d’intérêts de retard) sur le paiement de la dette, le temps de réaliser
un audit public des emprunts contractés. Sur la base des résultats de
cet audit, il reviendra aux citoyens de décider si cette dette est toute
ou partie illégitime et dans ce cas, de prononcer son annulation.
Au
cas particulier de la Grèce, cette question est essentielle car c’est
en son nom que les plans d’austérités imposés par le FMI et l’UE sont
présentés et le pays est dépossédé de sa propre gouvernance.
Les
causes de ses déficits budgétaires sont notoires : il y a l’injustice
fiscale, un budget militaire colossal, une logique de malversations
institutionnalisées. Les divers gouvernements de droite comme de gauche
ont laissé vivre et encouragé un dérèglement inacceptable de la société
grecque qui a profité aux classes économiques dirigeantes.
Nous
ne disons qu’une chose : que le peuple grec examine les comptes de la
dette et décide collectivement si elle a amélioré la vie du pays, permis
des créations d’emplois et un développement des services rendus au
public.
Ou si, au contraire, elle n’a profité qu’aux
bénéficiaires des réductions d’impôts et aux champions de l’évasion et
de la fraude fiscale encouragés par les gouvernements successifs depuis
30 ans.
Y-a-t-il aujourd’hui de possibilité pour que se
développe un mouvement revendiquant l’abrogation de la dette grecque ou
de celle de tous les pays de la zone euro affrontant ce problème, a
l’instar des mouvements analogues pour l’annulation de la dette des pays
du Tiers Monde des années 1990 ?
Un Comité grec contre la
Dette a été fondé début juillet 2010 à Athènes. Il est composé de
représentants de partis et de mouvements sociaux provenant d’un large
éventail de la gauche grecque.
Le Comité Grec contre la Dette a annoncé sa volonté de travailler en collaboration avec le réseau international du CADTM.
La
cure d’austérité drastique à laquelle la Grèce est sommée de se
soumettre trouve son modèle dans les politiques d’ajustement structurels
qui ont été imposées par le FMI aux pays du sud après la crise de la
dette déclenchée par la remontée des taux de la Fed en 1982. Nous ne
pouvons donc qu’encourager cette initiative et la soutenir pour au moins
3 raisons :
La finance internationale attaque ce maillon
faible de la zone euro pour tester la cohésion de l’ensemble, avant
éventuellement de spéculer contre d’autres pays pour générer d’énormes
profits.
Cette attaque entraîne la mise « sous tutelle » de la
Grèce par la Commission européenne et le FMI. A l’instar des pays du
Tiers-Monde à partir des années 1980, la Grèce se voit imposer un
programme d’ajustement économique et social drastique, traduisant sa
Tiers-Mondialisation qui préfigure celle d’autres pays européens.
L’intention affichée de ce comité est de « contribuer activement à la
construction d’un mouvement radical contre la dette aux Balkans et dans
toute l’Europe. Un mouvement qui se battra contre la dette au Nord, mais
mettra aussi en première ligne de ses priorités la solidarité active
envers les peuples du Tiers Monde en lutte depuis des décennies contre
la dette au Sud ». (déclaration de fondation)
Il s’agit donc
bien là d’une réponse unitaire, solidaire et citoyenne, souhaitant
faire la clarté sur la dette et rétablir le peuple grec dans ses droits
et sa dignité. C’est aussi un élément encourageant pour les réponses à
construire aujourd’hui en Grèce et dans le reste de l’Europe.
Comment l’expérience du CADTM pourrait-elle aider au développement des mouvements analogues en Grèce ?
Depuis
20 ans, le CADTM a développé son expertise de la dette publique tant en
matière de diagnostic que d’alternatives dans les pays du Sud de la
planète, sur tous les continents. Depuis 2 ans, il a fortement progressé
dans le travail d’analyse de la problématique de la dette publique dans
les pays les plus industrialisés.
Ce travail, conjugué à
notre expérience, peut être un apport certain pour la constitution de
comités dans les pays européens. Cela correspond à un besoin fort
aujourd’hui puisque la dette publique est l’angle d’agression qu’a
choisi le capital international pour faire payer sa crise aux
populations.
Nous avons, au mois de mai dernier, lancé un
appel « Pour une mobilisation européenne contre la dictature des
créanciers ». Les premiers échos que nous en avons sont plutôt
encourageants.
Le capital et les dirigeants des pays de
l’Europe sont bien décidés, avec l’appui du FMI et de la Commission
Européenne, à faire payer la crise à l’ensemble de la population du
continent.
L’enjeu est considérable en termes de reculs
sociaux, d’augmentation du chômage et de remise en cause des droits
fondamentaux des peuples.
Le CADTM, à son niveau, souhaite
contribuer à la réaction unie des peuples européens et de leurs
organisations contre cette régression sociale sans précédent.
Quand a-t-il était fondé et comment fonctionne le CADTM ?
Créé
en 1990, le Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde (CADTM)
est un réseau international constitué de membres et de comités locaux
basés en Europe, en Afrique, en Amérique latine et en Asie. Il dispose
d’un site internet (en partie traduite en grec : http://www.cadtm.org ).
Son
travail principal est l’élaboration d’alternatives radicales visant la
satisfaction universelle des besoins, des libertés et des droits humains
fondamentaux.
Il ancre son action au carrefour des luttes des mouvements sociaux populaires, des mouvements d’éducation permanente, des syndicats, des comités de solidarité internationale et des ONG de développement.
Au sein du réseau international du CADTM, je suis co-animateur du groupe de travail dettes publiques des pays du Nord
J’ai rédigé plusieurs articles dont : Le sens de la crise grecque
J’ai 55 ans, je suis également contrôleur des impôts au ministère des finances et militant syndical CGT à Rennes (région Bretagne)
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