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Mercredi 1er septembre 2010
CRISE ET DETTE EN EUROPE :
10 FAUSSES EVIDENCES, 22 MESURES EN DEBAT POUR SORTIR DE
L’IMPASSE
Introduction
La reprise
économique mondiale, permise par une injection colossale de dépenses
publiques dans le circuit économique (des États-Unis à la Chine),
est fragile mais réelle. Un seul continent reste en retrait,
l’Europe. Retrouver le chemin de la croissance n’est plus sa
priorité politique. Elle s’est engagée dans une autre voie :
celle de la lutte contre les déficits publics.
Dans l’Union
Européenne, ces déficits sont certes élevés – 7% en moyenne en
2010 – mais bien moins que les 11% affichés par les États-Unis .
Alors que des États nord-américains au poids économique plus
important que la Grèce, la Californie par exemple, sont en
quasi-faillite, les marchés financiers ont décidé de spéculer sur
les dettes souveraines de pays européens, tout particulièrement
ceux du Sud. L’Europe est de fait prise dans son propre piège
institutionnel : les États doivent emprunter auprès
d’institutions financières privées qui obtiennent, elles, des
liquidités à bas prix de la Banque Centrale Européenne. Les
marchés ont donc la clé du financement des États. Dans ce cadre,
l’absence de solidarité européenne suscite la spéculation,
d’autant que les agences de notation jouent à accentuer la
défiance.
Il a fallu la dégradation, le 15 juin, de la note
de la Grèce par l’agence Moody’s, pour que les dirigeants
européens retrouvent le terme d’ « irrationalité »
qu’ils avaient tant employé au début de la crise des subprimes.
De même, on découvre maintenant que l’Espagne est bien plus
menacée par la fragilité de son modèle de croissance et de son
système bancaire que par son endettement public.
Pour
« rassurer les marchés », un Fonds de stabilisation de
l’euro a été improvisé, et des plans drastiques et bien souvent
aveugles de réduction des dépenses publiques ont été lancés à
travers l’Europe. Les fonctionnaires sont les premiers touchés, y
compris en France, où la hausse des cotisations retraites sera une
baisse déguisée de leur salaire. Le nombre de fonctionnaires
diminue partout, menaçant les services publics. Les prestations
sociales, des Pays-Bas au Portugal en passant par la France avec
l’actuelle réforme des retraites, sont en voie d’être gravement
amputées. Le chômage et la précarité de l’emploi se
développeront nécessairement dans les années à venir. Ces mesures
sont irresponsables d’un point de vue politique et social, et même
au strict plan économique.
Cette politique, qui a très
provisoirement calmé la spéculation, a déjà des conséquences
sociales très négatives dans de nombreux pays européens, tout
particulièrement sur la jeunesse, le monde du travail et les plus
fragiles. A terme elle attisera les tensions en Europe et menacera de
ce fait la construction européenne elle-même, qui est bien plus
qu’un projet économique. L’économie y est censée être au
service de la construction d’un continent démocratique, pacifié
et uni. Au lieu de cela, une forme de dictature des marchés s’impose
partout, et particulièrement aujourd’hui au Portugal, en Espagne
et en Grèce, trois pays qui étaient encore des dictatures au début
des années 1970, il y a à peine quarante ans.
Qu’on
l’interprète comme le désir de « rassurer les marchés »
de la part de gouvernants effrayés, ou bien comme un prétexte pour
imposer des choix dictés par l’idéologie, la soumission à cette
dictature n’est pas acceptable, tant elle a fait la preuve de son
inefficacité économique et de son potentiel destructif au plan
politique et social. Un véritable débat démocratique sur les choix
de politique économique doit donc être ouvert en France et en
Europe. La plupart des économistes qui interviennent dans le débat
public le font pour justifier ou rationaliser la soumission des
politiques aux exigences des marchés financiers.
Certes, les
pouvoirs publics ont dû partout improviser des plans de relance
keynésiens et même parfois nationaliser temporairement des banques.
Mais ils veulent refermer au plus vite cette parenthèse. Le logiciel
néolibéral est toujours le seul reconnu comme légitime, malgré
ses échecs patents. Fondé sur l’hypothèse d’efficience des
marchés financiers, il prône de réduire les dépenses publiques,
de privatiser les services publics, de flexibiliser le marché du
travail, de libéraliser le commerce, les services financiers et les
marchés de capitaux, d’accroître la concurrence en tous temps et
en tous lieux...
En tant qu’économistes, nous sommes
atterrés de voir que ces politiques sont toujours à l’ordre du
jour et que leurs fondements théoriques ne sont pas remis en cause.
Les arguments avancés depuis trente ans pour orienter les choix des
politiques économiques européennes sont pourtant mis en défaut par
les faits. La crise a mis à nu le caractère dogmatique et infondé
de la plupart des prétendues évidences répétées à satiété par
les décideurs et leurs conseillers. Qu’il s’agisse de
l’efficience et de la rationalité des marchés financiers, de la
nécessité de couper dans les dépenses pour réduire la dette
publique, ou de renforcer le « pacte de stabilité », il
faut interroger ces fausses évidences et montrer la pluralité des
choix possibles en matière de politique économique. D’autres
choix sont possibles et souhaitables, à condition d’abord de
desserrer l’étau imposé par l’industrie financière aux
politiques publiques.
Nous faisons ci-dessous une présentation
critique de dix postulats qui continuent à inspirer chaque jour les
décisions des pouvoirs publics partout en Europe, malgré les
cinglants démentis apportés par la crise financière et ses suites.
Il s’agit de fausses évidences qui inspirent des mesures injustes
et inefficaces, face auxquelles nous mettons en débat vingt-deux
contre-propositions. Chacune d’entre elles ne fait pas
nécessairement l’unanimité entre les signataires de ce texte,
mais elles devront être prises au sérieux si l’on veut sortir
l’Europe de l’impasse.
FAUSSE EVIDENCE N°1 : LES
MARCHES FINANCIERS SONT EFFICIENTS
Aujourd’hui, un
fait s’impose à tous les observateurs : le rôle primordial
que jouent les marchés financiers dans le fonctionnement de
l’économie. C’est là le résultat d’une longue évolution qui
a débuté à la fin des années soixante-dix. De quelque manière
qu’on la mesure, cette évolution marque une nette rupture, aussi
bien quantitative que qualitative, par rapport aux décennies
précédentes. Sous la pression des marchés financiers, la
régulation d’ensemble du capitalisme s’est transformée en
profondeur, donnant naissance à une forme inédite de capitalisme
que certains ont nommée « capitalisme patrimonial »,
« capitalisme financier » ou encore « capitalisme
néolibéral ».
Ces mutations ont trouvé dans
l’hypothèse d’efficience informationnelle des marchés
financiers leur justification théorique. En effet, selon cette
hypothèse, il importe de développer les marchés financiers, de
faire en sorte qu’ils puissent fonctionner le plus librement
possible, parce qu’ils constituent le seul mécanisme d’allocation
efficace du capital. Les politiques menées avec opiniâtreté depuis
trente ans sont conformes à cette recommandation. Il s’est agi de
construire un marché financier mondialement intégré sur lequel
tous les acteurs (entreprises, ménages, États, institutions
financières) peuvent échanger toutes les catégories de titres
(actions, obligations, dettes, dérivés, devises) pour toutes les
maturités (long terme, moyen terme, court terme). Les marchés
financiers en sont venus à ressembler au marché « sans
friction » des manuels : le discours économique est
parvenu à créer la réalité. Les marchés étant de plus en plus
« parfaits » au sens de la théorie économique
dominante, les analystes ont cru que le système financier était
désormais bien plus stable que par le passé. La « grande
modération » - cette période de croissance économique sans
hausse des salaires qu’ont connus les USA de 1990 à 2007 - a
semblé le confirmer.
Aujourd’hui encore le G20 persiste
dans l’idée que les marchés financiers sont le bon mécanisme
d’allocation du capital. La primauté et l’intégrité des
marchés financiers demeurent les objectifs finaux que poursuit sa
nouvelle régulation financière. La crise est interprétée non pas
comme un résultat inévitable de la logique des marchés dérégulés,
mais comme l’effet de la malhonnêteté et de l’irresponsabilité
de certains acteurs financiers mal encadrés par les pouvoirs
publics.
Pourtant, la crise s’est chargée de démontrer que
les marchés ne sont pas efficients, et qu’ils ne permettent pas
une allocation efficace du capital. Les conséquences de ce fait en
matière de régulation et de politique économique sont immenses. La
théorie de l’efficience repose sur l’idée que les investisseurs
recherchent et trouvent l’information la plus fiable possible sur
la valeur des projets qui sont en concurrence pour trouver un
financement. A en croire cette théorie, le prix qui se forme sur un
marché reflète les jugements des investisseurs et synthétise
l’ensemble de l’information disponible : il constitue donc
une bonne estimation de la vraie valeur des titres. Or, cette valeur
est supposée résumer toute l’information nécessaire pour
orienter l’activité économique et ainsi la vie sociale. Ainsi, le
capital s’investit dans les projets les plus rentables et délaisse
les projets les moins efficaces. Telle est l’idée centrale de
cette théorie : la concurrence financière produit des prix
justes qui constituent des signaux fiables pour les investisseurs et
orientent efficacement le développement économique.
Mais la
crise est venue confirmer les différents travaux critiques qui
avaient mis en doute cette proposition. La concurrence financière ne
produit pas nécessairement des prix justes. Pire : la
concurrence financière est souvent déstabilisante et conduit à des
évolutions de prix excessives et irrationnelles, les bulles
financières.
L’erreur majeure de la théorie de
l’efficience des marchés financiers consiste à transposer aux
produits financiers la théorie habituelle des marchés de biens
ordinaires. Sur ces derniers, la concurrence est pour partie
autorégulatrice en vertu de ce qu’on nomme la « loi »
de l’offre et de la demande : lorsque le prix d’un bien
augmente, alors les producteurs vont augmenter leur offre et les
acheteurs réduire leur demande ; le prix va donc baisser et
revenir près de son niveau d’équilibre. Autrement dit, quand le
prix d’un bien augmente, des forces de rappel tendent à freiner
puis inverser cette hausse. La concurrence produit ce qu’on appelle
des « feedbacks négatifs », des forces de rappel qui
vont dans le sens contraire du choc initial. L’idée d’efficience
naît d’une transposition directe de ce mécanisme à la finance de
marché.
Or, pour cette dernière, la situation est très
différente. Quand le prix augmente, il est fréquent d’observer,
non pas une baisse mais une hausse de la demande ! En effet la
hausse du prix signifie un rendement accru pour ceux qui possèdent
le titre, du fait de la plus-value réalisée. La hausse du prix
attire donc de nouveaux acheteurs, ce qui renforce encore la hausse
initiale. Les promesses de bonus poussent les traders à amplifier
encore le mouvement. Jusqu’à l’incident, imprévisible mais
inévitable, qui provoque l’inversion des anticipations et le
krach. Ce phénomène digne des moutons de Panurge est un processus à
« feedbacks positifs », qui aggrave les déséquilibres.
C’est la bulle spéculative : une hausse cumulative des prix
qui se nourrit elle-même. Ce type de processus ne produit pas des
prix justes, mais au contraire des prix inadéquats.
La place
prépondérante occupée par les marchés financiers ne peut donc
conduire à une quelconque efficacité. Plus même, elle est une
source permanente d’instabilité, comme le montre clairement la
série ininterrompue de bulles que nous avons connue depuis 20 ans :
Japon, Asie du Sud-Est, Internet, Marchés émergents, Immobilier,
Titrisation. L’instabilité financière se traduit ainsi par de
fortes fluctuations des taux de change et de la Bourse, manifestement
sans rapport avec les fondamentaux de l’économie. Cette
instabilité, née du secteur financier, se propage à l’économie
réelle par de nombreux mécanismes.
Pour réduire
l’inefficience et l’instabilité des marchés financiers, nous
suggérons quatre mesures :
Mesure n°1 :
cloisonner strictement les marchés financiers et les activités des
acteurs financiers, interdire aux banques de spéculer pour leur
compte propre, pour éviter la propagation des bulles et des
krachs
Mesure n°2 : Réduire la liquidité et la
spéculation déstabilisatrice par des contrôles sur les mouvements
de capitaux et des taxes sur les transactions financières
Mesure
n°3 : limiter les transactions financières à celles
répondant aux besoins de l’économie réelle (ex. : CDS
uniquement pour les détenteurs des titres assurés, etc.)
Mesure
n°4 : plafonner la rémunération des traders
FAUSSE
EVIDENCE N°2 : LES MARCHES FINANCIERS SONT FAVORABLES A LA
CROISSANCE ECONOMIQUE
L’intégration financière a porté
le pouvoir de la finance à son zénith par le fait qu’elle unifie
et centralise la propriété capitaliste à l’échelle mondiale.
Désormais c’est elle qui détermine les normes de rentabilité
exigées de l’ensemble des capitaux. Le projet était que la
finance de marché se substitue au financement bancaire des
investissements. Projet qui a d’ailleurs échoué,
puisqu’aujourd’hui, globalement, ce sont les entreprises qui
financent les actionnaires au lieu du contraire. La gouvernance des
entreprises s’est néanmoins profondément transformée pour
atteindre les normes de rentabilité du marché. Avec la montée en
puissance de la valeur actionnariale, s’est imposée une conception
nouvelle de l’entreprise et de sa gestion, pensées comme étant au
service exclusif de l’actionnaire. L’idée d’un intérêt
commun propre aux différentes parties prenantes liées à
l’entreprise a disparu. Les dirigeants des entreprises cotées en
Bourse ont désormais pour mission première de satisfaire le désir
d’enrichissement des actionnaires et lui seul. En conséquence, ils
cessent eux-mêmes d’être des salariés, comme le montre l’envolée
démesurée de leurs rémunérations. Comme l’avance la théorie de
« l’agence », il s’agit de faire en sorte que les
intérêts des dirigeants soient désormais convergents avec ceux des
actionnaires.
Le ROE (Return on Equity, ou rendement des
capitaux propres) de 15% à 25% est désormais la norme qu’impose
le pouvoir de la finance aux entreprises et aux salariés. La
liquidité est l’instrument de ce pouvoir, permettant à tout
moment aux capitaux non satisfaits d’aller voir ailleurs. Face à
cette puissance, le salariat comme la souveraineté politique
apparaissent de par leur fractionnement en état d’infériorité.
Cette situation déséquilibrée conduit à des exigences de profit
déraisonnables, car elles brident la croissance économique et
conduisent à une augmentation continue des inégalités de revenu.
D’une part les exigences de profitabilité inhibent fortement
l’investissement : plus la rentabilité demandée est élevée,
plus il est difficile de trouver des projets suffisamment performants
pour la satisfaire. Les taux d’investissement restent
historiquement faibles en Europe et aux États-Unis. D’autre part,
ces exigences provoquent une constante pression à la baisse sur les
salaires et le pouvoir d’achat, ce qui n’est pas favorable à la
demande. Le freinage simultané de l’investissement et de la
consommation conduit à une croissance faible et à un chômage
endémique. Cette tendance a été contrecarrée dans les pays
anglo-saxons par le développement de l’endettement des ménages et
par les bulles financières qui créent une richesse fictive,
permettent une croissance de la consommation sans salaires, mais se
terminent par des krachs.
Pour remédier aux effets négatifs
des marchés financiers sur l’activité économique nous mettons en
débat trois mesures :
Mesure n°5 :
renforcer significativement les contre-pouvoirs dans les entreprises
pour obliger les directions à prendre en compte les intérêts de
l’ensemble des parties prenantes
Mesure n°6 :
accroître fortement l’imposition des très hauts revenus pour
décourager la course aux rendements insoutenables
Mesure
n°7 : réduire la dépendance des entreprises vis-à-vis
des marchés financiers, en développant une politique publique du
crédit (taux préférentiels pour les activités prioritaires au
plan social et environnemental)
FAUSSE EVIDENCE N° 3 :
LES MARCHES SONT DE BONS JUGES DE LA SOLVABILITE DES ETATS
Selon
les tenants de l’efficience des marchés financiers, les opérateurs
de marché prendraient en compte la situation objective des finances
publiques pour évaluer le risque de souscrire à un emprunt d’État.
Prenons le cas de la dette grecque : les opérateurs financiers
et les décideurs s’en remettent aux seules évaluations
financières pour juger la situation. Ainsi, lorsque le taux exigé
de la Grèce est monté à plus de 10%, chacun en a déduit que le
risque de défaut était proche : si les investisseurs exigent
une telle prime de risque, c’est que le danger est extrême.
C’est
là une profonde erreur si l’on comprend la vraie nature de
l’évaluation par le marché financier. Celui-ci n’étant pas
efficient, il produit très souvent des prix totalement déconnectés
des fondamentaux. Dans ces conditions, il est déraisonnable de s’en
remettre aux seules évaluations financières pour juger d’une
situation. Évaluer la valeur d’un titre financier n’est pas une
opération comparable à la mesure d’une grandeur objective, par
exemple à l’estimation du poids d’un objet. Un titre financier
est un droit sur des revenus futurs : pour l’évaluer il faut
prévoir ce que sera ce futur. C’est affaire de jugement, pas de
mesure objective, parce qu’à l’instant t, l’avenir n’est
aucunement prédéterminé. Dans les salles de marché, il n’est
que ce que les opérateurs imaginent qu’il sera. Un prix financier
résulte d’un jugement, une croyance, un pari sur l’avenir :
rien n’assure que le jugement des marchés ait une quelconque
supériorité sur les autres formes de jugement.
Surtout
l’évaluation financière n’est pas neutre : elle affecte
l’objet mesuré, elle engage et construit le futur qu’elle
imagine. Ainsi les agences de notation financières contribuent
largement à déterminer les taux d’intérêt sur les marchés
obligataires en attribuant des notes empruntes d’une grande
subjectivité voire d’une volonté d’alimenter l’instabilité,
source de profits spéculatifs. Lorsqu’elles dégradent la notation
d’un État, elles accroissent le taux d’intérêt exigé par les
acteurs financiers pour acquérir les titres de la dette publique de
cet État, et augmentent par là-même le risque de faillite qu’elles
ont annoncé.
Pour réduire l’emprise de la psychologie des
marchés sur le financement des États nous mettons en débat deux
mesures :
Mesure n°8 : les agences de
notation financière ne doivent pas être autorisées à peser
arbitrairement sur les taux d’intérêt des marchés obligataires
en dégradant la note d’un État : on devrait réglementer
leur activité en exigeant que cette note résulte d’un calcul
économique transparent.
Mesure n°8bis :
affranchir les États de la menace des marchés financiers en
garantissant le rachat des titres publiques par la BCE.
FAUSSE
EVIDENCE N° 4 : L’ENVOLEE DES DETTES PUBLIQUES RESULTE
D’UN EXCES DE DEPENSES
Michel Pébereau, l’un des
« parrains » de la banque française, décrivait en 2005
dans l’un de ces rapports officiels ad hoc, une France étouffée
par la dette publique et sacrifiant ses générations futures en
s’adonnant à des dépenses sociales inconsidérées. L’État
s’endettant comme un père de famille alcoolique qui boit au dessus
de ses moyens : telle est la vision ordinairement propagée par
la plupart des éditorialistes. L’explosion récente de la dette
publique en Europe et dans le monde est pourtant due à tout autre
chose : aux plans de sauvetage de la finance et surtout à la
récession provoquée par la crise bancaire et financière qui a
commencé en 2008 : le déficit public moyen dans la zone euro
n’était que de 0,6% du PIB en 2007, mais la crise l’a fait
passer à 7% en 2010. La dette publique est passée en même temps de
66% à 84% du PIB.
Cependant la montée de la dette publique,
en France et dans de nombreux pays européens a d’abord été
modérée et antérieure à cette récession : elle provient
largement non pas d’une tendance à la hausse des dépenses
publiques – puisqu’au contraire celles-ci, en proportion du PIB,
sont stables ou en baisse dans l’Union européenne depuis le début
des années 1990 – mais de l’effritement des recettes publiques,
du fait de la faiblesse de la croissance économique sur la période,
et de la contre-révolution fiscale menée par la plupart des
gouvernements depuis vingt-cinq ans. Sur plus long terme la
contre-révolution fiscale a continûment alimenté le gonflement de
la dette d’une récession à l’autre. Ainsi en France, un récent
rapport parlementaire chiffre à 100 milliards d’euros en 2010 le
coût des baisses d’impôts consenties entre 2000 et 2010, sans
même inclure les exonérations de cotisations sociales (30
milliards) et d’autres « dépenses fiscales ». Faute
d’harmonisation fiscale, les États européens se sont livrées à
la concurrence fiscale, baissant les impôts sur les sociétés, les
hauts revenus et les patrimoines. Même si le poids relatif de ses
déterminants varie d’un pays à l’autre, la hausse
quasi-générale des déficits publics et des ratios de dette
publique en Europe au cours des trente dernières années ne résulte
pas principalement d’une dérive coupable des dépenses publiques.
Un diagnostic qui ouvre évidemment d’autres pistes que la
sempiternelle réduction des dépenses publiques.
Pour
restaurer un débat public informé sur l’origine de la dette et
donc les moyens d’y remédier nous mettons en débat une
proposition :
Mesure n° 9 : Réaliser
un audit public et citoyen des dettes publiques, pour déterminer
leur origine et connaître l’identité des principaux détenteurs
de titres de la dette et les montants détenus.
FAUSSE
EVIDENCE N°5 : IL FAUT REDUIRE LES DEPENSES POUR REDUIRE LA
DETTE PUBLIQUE
Même si l’augmentation de la dette
publique résultait en partie d’une hausse des dépenses publiques,
couper dans ces dépenses ne contribuerait pas forcément à la
solution. Car la dynamique de la dette publique n’a pas grand chose
à voir avec celle d’un ménage : la macroéconomie n’est
pas réductible à l’économie domestique. La dynamique de la dette
dépend en toute généralité de plusieurs facteurs : le niveau
des déficits primaires, mais aussi l’écart entre le taux
d’intérêt et le taux de croissance nominal de l’économie.
Car
si ce dernier est plus faible que le taux d’intérêt, la dette va
s’accroître mécaniquement du fait de « l’effet boule de
neige » : le montant des intérêts explose, et le déficit
total (y compris les intérêts de la dette) aussi. Ainsi, au début
des années 1990, la politique du franc fort menée par Bérégovoy
et maintenue malgré la récession de 1993-94 s’est traduite par un
taux d’intérêt durablement plus élevé que le taux de
croissance, expliquant le bond de la dette publique de la France
pendant cette période. C’est le même mécanisme qui expliquait
l’augmentation de la dette dans la première moitié des années
1980, sous l’impact de la révolution néolibérale et de la
politique de taux d’intérêts élevés menée par Ronald Reagan et
Margaret Thatcher.
Mais le taux de croissance de l’économie
lui-même n’est pas indépendant des dépenses publiques : à
court terme l’existence de dépenses publiques stables limite
l’ampleur des récessions (« stabilisateurs automatiques ») ;
à long terme les investissements et dépenses publiques (éducation,
santé, recherche, infrastructures...) stimulent la croissance. Il
est faux d’affirmer que tout déficit public accroît d’autant la
dette publique, ou que toute réduction du déficit permet de réduire
la dette. Si la réduction des déficits plombe l’activité
économique, la dette s’alourdira encore plus. Les commentateurs
libéraux soulignent que certains pays (Canada, Suède, Israël) ont
réalisé de très brutaux ajustements de leurs comptes publics dans
les années 1990 et connu immédiatement après un fort rebond de la
croissance.
Mais cela n’est possible que si l’ajustement
concerne un pays isolé, qui regagne rapidement de la compétitivité
sur ses concurrents. Ce qu’oublient évidemment les partisans de
l’ajustement structurel européen, c’est que les pays européens
ont pour principaux clients et concurrents les autres pays européens,
l’Union européenne étant globalement peu ouverte sur l’extérieur.
Une réduction simultanée et massive des dépenses publiques de
l’ensemble des pays de l’Union ne peut avoir pour effet qu’une
récession aggravée et donc un nouvel alourdissement de la dette
publique.
Pour éviter que le rétablissement des finances
publiques ne provoque un désastre social et politique nous mettons
en débat deux mesures :
Mesure n°10 :
Maintenir le niveau des protections sociales, voire les améliorer
(assurance-chômage, logement…) ;
Mesure n°11 :
accroître l’effort budgétaire en matière d’éducation, de
recherche, d’investissements dans la reconversion écologique...
pour mettre en place les conditions d’une croissance soutenable,
permettant une forte baisse du chômage.
FAUSSE EVIDENCE
N°6 : LA DETTE PUBLIQUE REPORTE LE PRIX DE NOS EXCES SUR NOS
PETITS-ENFANTS
Il est une autre affirmation fallacieuse
qui confond économie ménagère et macroéconomie, celle selon
laquelle la dette publique serait un transfert de richesse au
détriment des générations futures. La dette publique est bien un
mécanisme de transfert de richesses, mais c’est surtout des
contribuables ordinaires vers les rentiers.
En effet, se
fondant sur la croyance rarement vérifiée selon laquelle baisser
les impôts stimulerait la croissance et accroîtrait in fine les
recettes publiques, les États européens ont depuis 1980 imité les
USA dans une politique de moins-disant fiscal systématique. Les
réductions d’impôt et de cotisations se sont multipliées (sur
les bénéfices des sociétés, sur le revenu des particuliers les
plus aisés, sur les patrimoines, sur les cotisations patronales...),
mais leur impact sur la croissance économique est resté très
incertain. Ces politiques fiscales anti-redistributives ont donc
aggravé à la fois, et de façon cumulative, les inégalités
sociales et les déficits publics.
Ces politiques fiscales ont
obligé les administrations publiques à s’endetter auprès des
ménages aisés et des marchés financiers pour financer les déficits
ainsi créés. C’est ce qu’on pourrait appeler « l’effet
jackpot » : avec l’argent économisé sur leurs impôts,
les riches ont pu acquérir les titres (porteurs d’intérêts) de
la dette publique émise pour financer les déficits publics
provoqués par les réductions d’impôts... Le service de la dette
publique en France représente ainsi 40 milliards d’euros par an,
presqu’autant que les recettes de l’impôt sur le revenu. Tour de
force d’autant plus brillant qu’on a ensuite réussi à faire
croire au public que la dette publique était la faute des
fonctionnaires, des retraités et des malades.
L’accroissement
de la dette publique en Europe ou aux USA n’est donc pas le
résultat de politiques keynésiennes expansionnistes ou de
politiques sociales dispendieuses mais bien plutôt d’une politique
en faveur des couches privilégiées : les « dépenses
fiscales » (baisses d’impôts et de cotisations) augmentent
le revenu disponible de ceux qui en ont le moins besoin, qui du coup
peuvent accroître encore davantage leurs placements notamment en
Bons du Trésor, lesquels sont rémunérés en intérêts par l’impôt
prélevé sur tous les contribuables. Au total se met en place un
mécanisme de redistribution à rebours, des classes populaires vers
les classes aisées, via la dette publique dont la contrepartie est
toujours de la rente privée.
Pour redresser de façon
équitable les finances publiques en Europe et en France nous mettons
en débat deux mesures :
Mesure n°12 :
redonner un caractère fortement redistributif à la fiscalité
directe sur les revenus (suppression des niches, création de
nouvelles tranches et augmentation des taux de l’impôt sur le
revenu…) Mesure n°13 : supprimer les exonérations consenties
aux entreprises sans effets suffisants sur l’emploi
FAUSSE
EVIDENCE N°7 : IL FAUT RASSURER LES MARCHES FINANCIERS POUR
POUVOIR FINANCER LA DETTE PUBLIQUE
Au niveau mondial, la
montée des dettes publiques doit être analysée corrélativement à
la financiarisation. Durant les trente dernières années, à la
faveur de la totale libéralisation de la circulation des capitaux,
la finance a accru considérablement son emprise sur l’économie.
Les grandes entreprises recourent de moins en moins au crédit
bancaire et de plus en plus aux marchés financiers. Les ménages
aussi voient une part croissante de leur épargne drainée vers la
finance pour leurs retraites, via les divers produits de placement ou
encore dans certains pays via le financement de leur logement (prêts
hypothécaires). Les gestionnaires de portefeuille cherchant à
diversifier les risques, ils recherchent des titres publics en
complément de titres privés. Ils les trouvaient facilement sur les
marchés car les gouvernements menaient des politiques similaires
conduisant à un essor des déficits : taux d’intérêt
élevés, baisses d’impôts ciblées sur les hauts revenus,
incitations massives à l’épargne financière des ménages pour
favoriser les retraites par capitalisation, etc.
Au niveau de
l’UE, la financiarisation de la dette publique a été inscrite
dans les traités : depuis Maastricht les Banques centrales ont
interdiction de financer directement les États, qui doivent trouver
prêteurs sur les marchés financiers. Cette « répression
monétaire » accompagne la « libération financière »
et prend l’exact contrepied des politiques adoptées après la
grande crise des années 1930, de « répression financière »
(restrictions drastiques à la liberté d’action de la finance) et
de « libération monétaire » (avec la fin de
l’étalon-or). Il s’agit de soumettre les États, supposés par
nature trop dépensiers, à la discipline de marchés financiers
supposés par nature efficients et omniscients.
Résultat de
ce choix doctrinaire, la Banque centrale européenne n’a ainsi pas
le droit de souscrire directement aux émissions d’obligations
publique des États européens. Privés de la garantie de pouvoir
toujours se financer auprès de la Banque Centrale, les pays du Sud
ont ainsi été les victimes d’attaques spéculatives. Certes
depuis quelques mois, alors qu’elle s’y était toujours refusé
au nom d’une orthodoxie sans faille, la BCE achète des obligations
d’État au taux d’intérêt du marché pour calmer les tensions
sur le marché obligataire européen. Mais rien ne dit que cela
suffira, si la crise de la dette s’aggrave et que les taux
d’intérêt de marché s’envolent. Il pourrait alors être
difficile de maintenir cette orthodoxie monétaire dénuée de
fondements scientifiques sérieux.
Pour remédier au problème
de la dette publique nous mettons en débat deux mesures :
Mesure
n°14 : autoriser la Banque centrale européenne à financer
directement les États (ou à imposer aux banques commerciales de
souscrire à l’émission d’obligations publiques) à bas taux
d’intérêt, desserrant ainsi le carcan dans lequel les marchés
financiers les étreignent
Mesure n°15 : si
nécessaire, restructurer la dette publique, par exemple en
plafonnant le service de la dette publique à un certain % du
PIB, et en opérant une discrimination entre les créanciers selon le
volume des titres qu’ils détiennent : les très gros rentiers
(particuliers ou institutions) doivent consentir un allongement
sensible du profil de la dette, voire des annulations partielles ou
totales. Il faut aussi renégocier les taux d’intérêt exorbitants
des titres émis par les pays en difficulté depuis la crise.
FAUSSE
EVIDENCE N°8 : L’UNION EUROPÉNNE DÉFEND LE MODELE SOCIAL
EUROPÉEN
La construction européenne apparaît
comme une expérience ambiguë. Deux visions de l’Europe
coexistent, sans oser s’affronter ouvertement. Pour les
sociaux-démocrates l’Europe aurait dû se donner l’objectif de
promouvoir le modèle social européen, fruit du compromis social de
l’après seconde guerre mondiale, avec sa protection sociale, ses
services publics et ses politiques industrielles. Elle aurait dû
constituer un rempart face à la mondialisation libérale, un moyen
de protéger, de faire vivre et progresser ce modèle. L’Europe
aurait dû défendre une vision spécifique de l’organisation de
l’économie mondiale, la mondialisation régulée par des
organismes de gouvernance mondiale. Elle aurait dû permettre aux
pays membres de maintenir un niveau élevé de dépenses publiques et
de redistribution, en protégeant leur capacité de les financer par
l’harmonisation de la fiscalité sur les personnes, les
entreprises, les revenus du capital.
Cependant l’Europe n’a
pas voulu assumer sa spécificité. La vision dominante actuellement
à Bruxelles et au sein de la plupart des gouvernements nationaux est
au contraire celle d’une Europe libérale, dont l’objectif est
d’adapter les sociétés européennes aux exigences de la
mondialisation : la construction européenne est l’occasion de
mettre en cause le modèle social européen et de déréguler
l’économie. La prééminence du droit de la concurrence sur les
réglementations nationales et sur les droits sociaux dans le Marché
unique permet d’introduire plus de concurrence sur les marchés des
produits et des services, de diminuer l’importance des services
publics et d’organiser la mise en concurrence des travailleurs
européens.
La concurrence sociale et fiscale a permis de
réduire les impôts, notamment sur les revenus du capital et des
entreprises (les « bases mobiles »), et de faire pression
sur les dépenses sociales. Les traités garantissent quatre libertés
fondamentales : la libre circulation des personnes, des
marchandises, des services et des capitaux. Mais loin de se limiter
au marché intérieur, la liberté de circulation des capitaux a été
accordée aux investisseurs du monde entier, soumettant ainsi le
tissu productif européen aux contraintes de valorisation des
capitaux internationaux. La construction européenne apparaît comme
un moyen d’imposer aux peuples des réformes
néolibérales.
L’organisation de la politique
macroéconomique (indépendance de la Banque Centrale Européenne
vis-à-vis du politique, Pacte de stabilité) est marquée par la
méfiance envers les gouvernements démocratiquement élus. Il s’agit
de priver les pays de toute autonomie en matière de politique
monétaire comme en matière budgétaire. L’équilibre budgétaire
doit être atteint, puis toute politique discrétionnaire de relance
bannie, pour ne plus laisser jouer que la « stabilisation
automatique ». Aucune politique conjoncturelle commune n’est
mise en œuvre au niveau de la zone, aucun objectif commun n’est
défini en termes de croissance ou d’emploi . Les différences de
situation entre les pays ne sont pas prises en compte, puisque le
pacte ne s’intéresse ni aux taux d’inflation ni aux déficits
extérieurs nationaux ; les objectifs de finances publiques ne
tiennent pas compte des situations économiques nationales.
Les
instances européennes ont tenté d’impulser des réformes
structurelles (par les Grandes orientations de politiques
économiques, la Méthode ouvertes de coordination, ou l’Agenda de
Lisbonne) avec un succès très inégal. Leur mode d’élaboration
n’était ni démocratique, ni mobilisateur, leur orientation
libérale ne correspondait pas obligatoirement aux politiques
décidées au niveau national, compte tenu des rapports de forces
existant dans chaque pays. Cette orientation n’a pas connue
d’emblée les succès éclatants qui l’auraient légitimée. Le
mouvement de libéralisation économique a été remis en cause
(échec de la directive Bolkestein) ; certains pays ont été
tentés de nationaliser leur politique industrielle tandis que la
plupart s’opposaient à l’européanisation de leurs politiques
fiscales ou sociales. L’Europe sociale est restée un vain mot,
seule l’Europe de la concurrence et de la finance s’est
réellement affirmée.
Pour que l’Europe puisse promouvoir
véritablement un modèle social européen, nous mettons en débat
deux mesures :
Mesure n°16 : remettre en
cause la libre circulation des capitaux et des marchandises entre
l’Union européenne et le reste du monde, en négociant des accords
multilatéraux ou bilatéraux si nécessaire
Mesure n°17 :
au lieu de la politique de concurrence, faire de « l’harmonisation
dans le progrès » le fil directeur de la construction
européenne. Mettre en place des objectifs communs à portée
contraignante en matière de progrès social comme en matière
macroéconomique (des GOPS, grandes orientations de politique
sociale)
FAUSSE EVIDENCE N°9 : L’EURO EST UN
BOUCLIER CONTRE LA CRISE
L’euro aurait dû être
un facteur de protection contre la crise financière mondiale. Après
tout, la suppression de toute incertitude sur les taux de change
entre monnaies européennes a éliminé un facteur majeur
d’instabilité. Pourtant, il n’en a rien été : l’Europe
est plus durement et plus durablement affectée par la crise que le
reste du monde. Cela tient aux modalités-mêmes de construction de
l’union monétaire.
Depuis 1999 la zone euro a connu une
croissance relativement médiocre et un accroissement des divergences
entre les États membres en termes de croissance, d’inflation, de
chômage et de déséquilibres extérieurs. Le cadre de politique
économique de la zone euro, qui tend à imposer des politiques
macroéconomiques semblables pour des pays dans des situations
différentes, a élargi les disparités de croissance entre les États
membres. Dans la plupart des pays, en particulier les plus grands,
l’introduction de l’euro n’a pas provoqué l’accélération
promise de la croissance. Pour d’autres, il y a eu croissance mais
au prix de déséquilibres difficilement soutenables. La rigidité
monétaire et budgétaire, renforcée par l’euro, a permis de faire
porter tout le poids des ajustements sur le travail. On a promu la
flexibilité et l’austérité salariale, réduit la part des
salaires dans le revenu total, accru les inégalités.
Cette
course au moins disant social a été remportée par l’Allemagne
qui a su dégager d’importants surplus commerciaux au détriment de
ses voisins et surtout de ses propres salariés, en s’imposant une
baisse du coût du travail et des prestations sociales, ce qui lui a
conféré un avantage commercial par rapport à ses voisins qui n’ont
pu traiter leurs travailleurs aussi durement. Les excédents
commerciaux allemands pèsent sur la croissance des autres pays. Les
déficits budgétaires et commerciaux des uns ne sont que la
contrepartie des excédents des autres... Les États membres n’ont
pas été capables de définir une stratégie coordonnée.
La
zone euro aurait du être moins touché que les États-Unis ou le
Royaume-Uni par la crise financière. Les ménages sont nettement
moins impliqués dans les marchés financiers, qui sont moins
sophistiqués. Les finances publiques étaient dans une meilleure
situation ; le déficit public de l’ensemble des pays de la
zone était de 0,6% du PIB en 2007, contre près de 3% aux
Etats-Unis, au Royaume-Uni ou au Japon. Mais la zone euro souffrait
d’un creusement des déséquilibres : les pays du Nord
(Allemagne, Autriche, Pays-Bas, Pays Scandinaves) bridaient leurs
salaires et leurs demandes internes et accumulaient des excédents
extérieurs, alors que les pays du Sud (Espagne, Grèce, Irlande)
connaissaient une croissance vigoureuse impulsée par des taux
d’intérêt faibles relativement au taux de croissance, tout en
accumulant des déficits extérieurs.
Alors que la crise
financière est partie des États-Unis, ceux-ci ont tenté de mettre
en œuvre une réelle politique de relance budgétaire et monétaire,
tout en initiant un mouvement de re-régulation financière. L’Europe
au contraire n’a pas su s’engager dans une politique suffisamment
réactive. De 2007 à 2010, l’impulsion budgétaire a été de
l’ordre de 1,6 point de PIB dans la zone Euro ; de 3,2 points
au Royaume-Uni ; de 4,2 points aux États-Unis. La perte de
production due à la crise a été nettement plus forte dans la zone
euro qu’aux États-Unis. Le creusement des déficits dans la zone a
été subi plutôt que le résultat d’une politique active.
En
même temps, la Commission a continué de lancer des procédures de
déficit excessif contre les États-membres de sorte qu’à la
mi-2010 pratiquement tous les États de la zone y étaient soumis.
Elle a demandé aux États-membres de s’engager à revenir avant
2013 ou 2014 sous la barre de 3%, indépendamment de l’évolution
économique. Les instances européennes ont continué de réclamer
des politiques salariales restrictives et des remises en cause des
systèmes publics de retraite et de santé, au risque évident
d’enfoncer le continent dans la dépression et d’accroître les
tensions entre les pays.
Cette absence de coordination, et
plus fondamentalement l’absence d’un vrai budget européen
permettant une solidarité effective entre les États membres, ont
incité les opérateurs financiers à se détourner de l’euro,
voire à spéculer ouvertement contre lui.
Pour que l’euro
puisse réellement protéger les citoyens européens de la crise nous
mettons en débat deux mesures :
Mesure n°18 :
assurer une véritable coordination des politiques macroéconomiques
et une réduction concertée des déséquilibres commerciaux entre
pays européens
Mesure n°19 : compenser les
déséquilibres de paiements en Europe par une Banque de Règlements
(organisant les prêts entre pays européens)
Mesure n°20 :
si la crise de l’euro mène à son éclatement, et en attendant la
montée en régime du budget européen (cf. infra), établir un
régime monétaire intraeuropéen (monnaie commune de type
« bancor ») qui organise la résorption des déséquilibres
des balances commerciales au sein de l’Europe
FAUSSE
EVIDENCE N°10 : LA CRISE GRECQUE A ENFIN PERMIS D’AVANCER
VERS UN GOUVERNEMENT ECONOMIQUE ET UNE VRAIE SOLIDARITE
EUROPEENNE
A partir de la mi-2009, les marchés
financiers ont commencé à spéculer sur les dettes des pays
européens. Globalement, la forte hausse des dettes et des déficits
publics à l’échelle mondiale n’a pas (encore) entrainé de
hausses des taux longs : les opérateurs financiers estiment que
les banques centrales maintiendront longtemps les taux monétaires
réels à un niveau proche de zéro, et qu’il n’y a pas de risque
d’inflation ni de défaut d’un grand pays. Mais les spéculateurs
ont perçu les failles de l’organisation de la zone euro. Alors que
les gouvernements des autres pays développés peuvent toujours être
financés par leur Banque centrale, les pays de la zone euro ont
renoncé à cette possibilité, et dépendent totalement des marchés
pour financer leurs déficits. Du coup, la spéculation a pu se
déclencher sur les pays les plus fragiles de la zone : Grèce,
Espagne, Irlande.
Les instances européennes et les
gouvernements ont tardé à réagir, ne voulant pas donner
l’impression que les pays membres avaient droit à un soutien sans
limite de leurs partenaires et voulant sanctionner la Grèce,
coupable d’avoir masqué – avec l’aide de Goldman Sachs –
l’ampleur de ses déficits. Toutefois, en mai 2010, la BCE et les
pays membres ont dû créer dans l’urgence un Fonds de
stabilisation pour indiquer aux marchés qu’ils apporteraient ce
soutien sans limite aux pays menacés. En contrepartie, ceux-ci ont
du annoncer des programmes d’austérité budgétaire sans
précédent, qui vont les condamner à un recul de l’activité à
court terme et à une longue période de récession. Sous pression du
FMI et de la Commission européenne la Grèce doit privatiser ses
services publics et l’Espagne flexibiliser son marché du travail.
Même la France et l’Allemagne, qui ne sont pas attaqués par la
spéculation, ont annoncé des mesures restrictives.
Pourtant,
globalement, la demande n’est aucunement excessive en Europe. La
situation des finances publiques est meilleure que celle des
États-Unis ou de la Grande-Bretagne, laissant des marges de manœuvre
budgétaire. Il faut résorber les déséquilibres de façon
coordonnée : les pays excédentaires du Nord et du centre de
l’Europe doivent mener des politiques expansionnistes – hausse
des salaires, des dépenses sociales... - pour compenser les
politiques restrictives des pays du Sud. Globalement, la politique
budgétaire ne doit pas être restrictive dans la zone Euro, tant que
l’économie européenne ne se rapproche pas à une vitesse
satisfaisante du plein-emploi.
Mais les partisans des
politiques budgétaires automatiques et restrictives en Europe sont
malheureusement aujourd’hui renforcés. La crise grecque permet de
faire oublier les origines de la crise financière. Ceux qui ont
accepté de soutenir financièrement les pays du Sud veulent imposer
en contrepartie un durcissement du Pacte de Stabilité. La Commission
et l’Allemagne veulent imposer à tous les pays membres d’inscrire
l’objectif de budget équilibré dans leur constitution, de faire
surveiller leur politique budgétaire par des comités d’experts
indépendants. La Commission veut imposer aux pays une longue cure
d’austérité pour revenir à une dette publique inférieure à 60%
du PIB. S’il y a une avancée vers un gouvernement économique
européen, c’est vers un gouvernement qui, au lieu de desserrer
l’étau de la finance, va imposer l’austérité et approfondir
les « réformes » structurelles au détriment des
solidarités sociales dans chaque pays et entre les pays.
La
crise offre aux élites financières et aux technocraties européennes
la tentation de mettre en œuvre la « stratégie du choc , en
profitant de la crise pour radicaliser l’agenda néolibéral. Mais
cette politique a peu de chances de succès :
La diminution des dépenses publiques va compromettre l’effort
nécessaire à l’échelle européenne pour soutenir les dépenses
d’avenir (recherche, éducation, politique familiale), pour aider
l’industrie européenne à se maintenir et à investir dans les
secteurs d’avenir (économie verte).
La crise va permettre d’imposer de fortes réductions des dépenses
sociales, objectif inlassablement recherché par les tenants du
néolibéralisme, au risque de compromettre la cohésion sociale, de
réduire la demande effective, de pousser les ménages à épargner
pour leur retraite et leur santé auprès des institutions
financières, responsables de la crise.
Les gouvernements et les instances européennes se refusent à
organiser l’harmonisation fiscale qui permettrait la hausse
nécessaire des impôts sur le secteur financier, sur les patrimoines
importants et les hauts revenus.
Les pays européens instaurent durablement des politiques budgétaires
restrictives qui vont lourdement peser sur la croissance. Les
recettes fiscales vont chuter. Aussi, les soldes publics ne seront
guère améliorés, les ratios de dette seront dégradés, les
marchés ne seront pas rassurés.
Les pays européens, du fait de la diversité de leurs cultures
politiques et sociales, n’ont pas pu se plier tous à la discipline
de fer imposée par le traité de Maastricht ; ils ne se
plieront pas tous à son renforcement actuellement organisé. Le
risque d’enclencher une dynamique de repli sur soi généralisé
est réel.
Pour avancer vers un véritable gouvernement
économique et une solidarité européenne nous mettons en débat
deux mesures :
Mesure n°21 : développer une
fiscalité européenne (taxe carbone, impôt sur les bénéfices, …)
et un véritable budget européen pour aider à la convergence des
économies et tendre vers une égalisation des conditions d’accès
aux services publics et sociaux dans les divers États membres sur la
base des meilleures pratiques.
Mesure n°22 :
lancer un vaste plan européen, financé par souscription auprès du
public à taux d’intérêt faible mais garanti, et/ou par création
monétaire de la BCE, pour engager la reconversion écologique de
l’économie européenne.
CONCLUSION
METTRE
EN DÉBAT LA POLITIQUE ECONOMIQUE, TRACER DES CHEMINS POUR REFONDER
L’UNION EUROPEENNE
L’Europe s’est construite
depuis trois décennies sur une base technocratique excluant les
populations du débat de politique économique. La doctrine
néolibérale, qui repose sur l’hypothèse aujourd’hui
indéfendable de l’efficience des marchés financiers, doit être
abandonnée. Il faut rouvrir l’espace des politiques possibles et
mettre en débat des propositions alternatives et cohérentes, qui
brident le pouvoir de la finance et organisent l’harmonisation dans
le progrès des systèmes économiques et sociaux européens.
Cela
suppose la mutualisation d’importantes ressources budgétaires,
dégagées par le développement d’une fiscalité européenne
fortement redistributrice. Il faut aussi dégager les États de
l’étreinte des marchés financiers. C’est seulement ainsi que le
projet de construction européenne pourra espérer retrouver une
légitimité populaire et démocratique qui lui fait aujourd’hui
défaut.
Il n’est évidemment pas réaliste d’imaginer que
27 pays décideront en même temps d’opérer une telle rupture dans
la méthode et les objectifs de la construction européenne. La
Communauté économique européenne a commencé avec six pays :
la refondation de l’Union européenne passera elle aussi au début
par un accord entre quelques pays désireux d’explorer des voies
alternatives. A mesure que deviendront évidentes les conséquences
désastreuses des politiques aujourd’hui adoptées, le débat sur
les alternatives montera partout en Europe. Des luttes sociales et
des changements politiques interviendront à un rythme différent
selon les pays. Des gouvernements nationaux prendront des décisions
innovantes. Ceux qui le désireront devront adopter des coopérations
renforcées pour prendre des mesures audacieuses en matière de
régulation financière, de politique fiscale ou sociale. Par des
propositions concrètes ils tendront la main aux autres peuples pour
qu’ils rejoignent le mouvement.
C’est pourquoi il nous
semble important d’ébaucher et de mettre en débat dès maintenant
les grandes lignes de politiques économiques alternatives qui
rendront possible cette refondation de la construction européenne.
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