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Dominique Henry
jeudi 12 juin 2014
Le 28 mai, des paysans démontaient la salle de traite de la ferme-usine des Mille vaches, en Picardie. Dominique Henry, institutrice et agricultrice à la retraite, en était. Elle a passé plus de deux jours en garde à vue. Voici son témoignage.
Quand j’ai entendu parler de cette action à l’usine des Mille vaches, je n’ai pas hésité. Cet endroit où mille vaches et sept-cent cinquante veaux et génisses seront enfermés en permanence me donne la nausée.
Le projet imaginé par M. Ramery (entrepreneur en BTP déjà patron de 3 500 salariés) prévoit de produire de l’électricité à partir d’un immense méthaniseur alimenté par le lisier, le fumier, des résidus de céréales et autres végétaux. Le méthane libéré par la fermentation alimente un générateur électrique d’une puissance équivalente à vingt-cinq éoliennes. Le courant sera racheté par EDF.
Encouragé par les primes, le méthane agricole est un nouvel agro-business. Le lait n’est qu’un sous-produit du lisier, du lait « low cost », vendu à moins 20 % du prix du marché.
Un projet démesuré, aux conséquences environnementales et sociales inadmissibles, pour le profit d’une seule personne (M. Ramery fait partie des 350 personnes les plus riches de France). Antidémocratique. Le maire de Drucat, le village concerné, est contre ; les villageois ont monté une association pour défendre leur cadre de vie (Novissen).
Les villageois ne peuvent se faire entendre ; les agriculteurs, prônant une agriculture paysanne créatrice d’emplois et fournissant des produits de qualité, sont mis au rebut. Il est temps de provoquer un débat public sur l’orientation de l’agriculture dans notre pays.
Démonter, dévisser, déboulonner, ne rien casser
Mercredi 28 mai au petit matin, nous sommes une soixantaine motivés à nous approcher des immenses bâtiments. Démonter, dévisser, déboulonner, ne rien casser bien sûr. Tout reste sur place sauf une partie du matériel qui doit être remis à Stéphane Le Foll qui déjeune le jour même à la Villette (Paris) avec Ségolène Royal.
Un groupe part assez rapidement dans ce but. Un ouvrier arrive, agressif. Bien sûr, c’est son outil de travail. Certains essaient en vain de discuter. Les journalistes arrivent, plusieurs d’entre nous sont interviewés. Les forces de l’ordre ne tardent pas et vont directement vers quatre personnes pour relever leur identité.
Tous les militants présents s’étonnent et donnent leur carte d’identité, pour cette action revendiquée collectivement. Dès que tous les journalistes attendus sont venus, nous décidons de lever le camp.
En arrivant aux véhicules, on aperçoit les fourgons qui déchargent les CRS. J’ai à peine le temps de comprendre qu’ils sont sur moi pour m’embarquer. Des militants s’interposent, montrent leurs outils, demandent à être arrêtés mais rien n’y fait. Je me retrouve embarquée avec trois gendarmes dans un fourgon qui roule à vive allure vers Hallencourt.
Le temps est suspendu.
9H30. Je suis placée en garde à vue. Interrogatoire : qu’est-ce que je faisais là ? Dans quel but ? Comment ? Etc, etc. Une seule réponse : le silence ! L’adjudant tape plein de choses sur son ordi, me réinterroge, retape... Vu mon refus de répondre, les questions se font plus rares.
12H. Je demande si j’ai le droit de manger, ce n’est visiblement pas prévu, j’ai quand même droit à une barquette réchauffée d’une bouillie indéfinissable. Pour les toilettes je suis accompagnée, porte ouverte, super !
13H. Transfert à Abbeville à un train d’enfer avec trois gendarmes. J’aperçois quelques manifestants à l’arrivée de la gendarmerie, ça réchauffe le cœur. Je ne sais pas combien ont été arrêtés. L’interrogatoire recommence. On me dit que si je ne dis rien la garde à vue va durer. On me laisse mon sac pour l’instant, je peux dessiner entre les questions. Je peux voir mon avocat. Il m’explique que la garde à vue peut durer vingt-quatre heures. Je commence à comprendre que je dois m’armer de patience.
18H. On m’emmène à une confrontation avec un ouvrier du site qui a photographié quatre personnes en action. C’est comme ça qu’ils ont choisi.
19H30. Convocation devant le substitut du procureur qui me reproche dégradation et vol en réunion. Ma garde à vue est prolongée jusqu’à 9h30 le jeudi. On me transfère à Hallencourt pour la nuit. On m’ouvre la porte d’un « cachot » (comment appeler ça autrement ?) où je réalise que je vais devoir passer la nuit. Un sommier en béton, un « matelas » en plastique de cinq centimètres d’épaisseur, des couvertures de l’armée, un trou au fond pour les besoins (sans chasse d’eau). On me retire toutes mes affaires. On m’explique que je pourrais me suicider ; j’ai beau expliquer que je ne suis pas du tout suicidaire, que j’ai quatre enfants et six petits-enfants, rien n’y fait.
Quand la lourde porte se referme sur moi (combien de verrous ? Quatre au moins), je suis sous le choc. Je ressens une telle inhumanité. J’aime écrire, lire, mais on ne me laisse rien. Je suis face à quatre murs sales et à un trou. J’ai quelques instants le sentiment que je ne suis plus rien. Il ne s’agit pas seulement de privation de liberté, c’est autre chose ; dans quel but agissent-ils ainsi ?
Je pleure un bon coup puis je m’organise pour gérer mon temps : quelques mouvements de yoga pour que ce temps se déroule au mieux. Je réussis à dormir. Le lendemain matin je demande à faire ma toilette ; ce n’est visiblement pas prévu non plus, on me trouve deux lingettes minuscules. Pas d’eau.
Jeudi 29 mai
9h. Retransfert à Abbeville. Je comprends que la garde à vue est prolongée de vingt-quatre heures. Je suis blasée. Mais les manifestants sont là, je les entends et je les aperçois même par la fenêtre, ça fait vraiment chaud au cœur. Ils ne désarment pas. Je vois sur les journaux laissés sur le bureau que le porte-parole de la Confédération paysanne a été arrêté en revenant pour nous soutenir (j’apprendrai plus tard comment il a été plaqué au sol par les gardes du corps de M. Le Foll et la violence de son arrestation).
Les médias sont bien présents. Entre les questions, je dessine : notre ferme, les champs, les vaches, chacune avec son nom et son caractère. Les militants me font porter des sandwichs, trop bien.
Puis c’est la douche froide : ils parlent de me remettre en cellule d’isolement. Je me jette sur la fenêtre et je hurle qu’on va m’enfermer. Les potes en-dessous font le bazar. Ils me ramènent dans ce cachot, je vois les militants postés à la grille. Courage ! Quatre heures dans ce cachot, avec rien, enfermée par deux gendarmes qui ont l’âge de mes enfants.
On ne me laisse pas un gobelet d’eau, sous prétexte que je pourrais le découper et l’avaler... ? Ils disent qu’ils ne sont pas psychologues, dommage. Je vais chanter, Ma France de Ferrat, des chansons d’amour et de lutte, ça résonne pas si mal ; le temps passe.
Retransfert. Je demande à voir mon avocat qui m’annonce que je serai présentée au juge d’Amiens le lendemain. Le retour en cellule est une horreur. Je sais que ça ne durera pas, que ce n’est rien comparé à d’autres. Ma tête raisonne mais les larmes coulent toutes seules. Je réussis à gérer. Je m’endors mais un abruti me réveille en pleine nuit pour savoir si je vis toujours.
Vendredi 30 mai
Transfert à Amiens. Avant de partir j’offre à certains gendarmes mes dessins, ils ne paraissent pas insensibles. Je comprends qu’on va me menotter. Ils sont sur les dents. Départ donc menottée, encadrée de trois gendarmes armés jusqu’aux dents avec des gilets pare-balles.
On part en convoi, sirènes hurlantes, avec deux motards qui ouvrent la route, ils ont ordre de ne pas s’arrêter. Que doivent penser les personnes qu’on croise ? Que j’ai commis un infanticide ou découpé mon amant en morceaux ? J’essaie d’avoir de l’humour pour prendre du recul !
Arrivée à Amiens je vois mes potes et je lève les poignets dans leur direction ; on me tire à une telle allure dans le palais de justice que je manque tomber à terre. On attend les cinq dans des « cages ». Les gendarmes se marrent entre eux. Je chante !
Verdict : je suis placée sous contrôle judiciaire jusqu’au procès qui doit avoir lieu le 1er juillet avec interdiction de rencontrer mes « complices » sinon c’est la prison immédiatement m’a dit le juge. En clair, on nous empêche de préparer notre défense ensemble. Ils ne connaissent pas (et n’aiment pas) l’action collective.
Ainsi l’objectif est clair :
faire passer individuellement les cinq personnes interpellées pour de dangereux illuminés ; éviter tout débat démocratique et museler les opposants au projet ; orienter l’agriculture vers une industrialisation avec des coûts les plus bas possible. Des campagnes vidées de leurs paysans, sans vaches dans les champs, parsemées de grands bâtiments-usines ! Des scandales sanitaires à répétition, l’eau et le sol irrémédiablement pollués (comme c’est le cas pour les rivières de Franche-Comté).
Mais attention : trop de citoyens conscients vivent dans les campagnes pour qu’un tel projet passe. On est bien dans une action collective et pour un enfermé, dix le remplacent.
Que faire ?
Vous pouvez diffuser mon témoignage dans vos réseaux. Adhérer à Novissen, aux Amis de la Conf’. Vous pouvez envoyer un soutien financier à la Confédération paysanne pour payer le procès.
Gardez votre liberté de penser et d’agir sans vous laisser influencer par les médias dominants. Il faut s’informer au quotidien dès que l’on consomme. On est tous citoyens du monde et responsables !
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