http://notre-epoque.fr/2014/11/un-etude-sur-le-ttip-predit-des-consequences-economiques-nefastes-pour-les-pays-de-l-ue/
Le TTIP (« Transatlantic Trade and Investment Partnership », aussi appelé TAFTA « Transatlantic Free-Trade Agreement » ou GMT « Grand marché transatlantique ») est un traité de libre-échange entre l’Union Européenne et les États-Unis, négocié très discrètement pour nous par la Commission européenne1 (et sans consultation des parlements nationaux). Une nouvelle étude (Capaldo, 2014), menée par Jeronim Capaldo, de l’Université de Tufts (MA, USA), prédit des conséquences extrêmement néfastes pour l’économie européenne, et française en particulier : baisse des exportations, contraction du PIB, transfert des revenus vers les plus aisés, augmentation du chômage…
Qu’est-ce que le TTIP ?
Il y a beaucoup à dire sur le TTIP, qui fait l’objet de fortes inquiétudes de la part de la part de la société civile. Si la plupart des barrières douanières ont déjà été levées de part et d’autre de l’Atlantique, une « harmonisation » des normes (comprendre « nivellement par le bas ») et des garanties pour les investisseurs sont nécessaires pour pousser jusqu’au bout la logique néolibérale soutenue par nos dirigeants et encouragée par les lobbys financiers et industriels. La société civile s’émeut en particulier de mécanismes visant à protéger les intérêts des investisseurs, permettant aux entreprises se sentant lésées par certaines décisions étatiques (par exemple lois anti-tabac ou anti-OGM) d’attaquer en justice les états pour compenser les pertes via des tribunaux d’arbitrage ad hoc plutôt que par la voie légale normale2 Cela correspond ni plus ni moins au coup de grâce porté à ce qui nous reste de démocratie. Sans compter que le TTIP est accompagné du TISA (Trade in Services Agreement, qui est spécialisé dans les services) et le CETA (Comprehensive Trade and Economic Agreement, avec le Canada, qui a lui-même signé un traité équivalent avec les États-Unis). Pour toute la propagande, voir le site de la Commission européenne. Pour des critiques du TTIP, voir par exemple le site d’Attac France.
Le TTIP inquiète la société civile. Source : FlickR
Les effets économiques du TTIP selon la Commission
Cette introduction étant faite, rentrons dans le vif du sujet, c’est-à-dire les conséquences économiques du traité. Naturellement, le site de la Commission ne nous présente que des aspects positifs :
« Parce que les relations commerciales entre l’UE et les Etats-Unis sont déjà les plus importantes au monde – chaque jour, nous échangeons des biens et des services pour 2 milliards €, chaque obstacle au commerce supprimé pourrait entraîner des gains économiques importants.
Un rapport indépendant suggère qu’un accord ambitieux pourrait entraîner des millions d’euros d’économies pour les entreprises et créer des centaines de milliers d’emplois.
Une fois pleinement mis en œuvre, il est prévu qu’un ménage européen moyen gagnerait par an € 545 de plus et que notre économie serait stimulée de 0,5% du PIB, soit € 120 milliards.
La croissance économique supplémentaire sera bénéfique pour tous, stimuler le commerce est un bon moyen pour stimuler nos économies en augmentant la demande et l’approvisionnement sans avoir à augmenter les dépenses publiques ou l’emprunt. »
Les limites des études « indépendantes »
L’étude que cite la commission (CEPR, 2013), comme le souligne l’étude de Capaldo, n’est en fait pas indépendante, puisqu’elle a été commanditée par la Commission elle-même. La plupart des arguments quantitatifs en faveur du TTIP reposent en particulier sur quatre études (Ecorys, 2009 ; CEPR, 2013 ; CEPII, 2013 et Bertelsmann Stiftung, 2013). Ces études, nous explique le rapport de Capaldo, ne peuvent être considérées comme indépendantes entre elles, puisqu’elles utilisent toutes le même type de modèle économétrique (des modèles d’équilibre général calculable, MEGC). Ecorys (aussi commandité par la Commission) et CEPR utilisent même exactement le même MEGC (appelé Global Trade Analysis Project, GTAP, développé à l’Université Purdue), et toutes ces études sauf celles du Bertelsmann utilisent la même base de données.
Or, ces modèles de type MEGC présentent des problèmes, à causes d’hypothèses peu réalistes, selon Capaldo. Parmi ces problèmes est l’hypothèse que les industries les plus compétitives absorberont toutes les ressources (y compris les emplois) de celles qui seront en contraction, ou encore la fluidité inter-secteurs parfaite du travail. En pratique, d’après le rapport, les industries les moins compétitives se contractent plus largement et plus rapidement que ne s’étendent les industries les plus compétitives, générant ainsi du chômage.
L’étude de Capaldo
L’étude de Capaldo repose donc sur un autre type de modèle, le United Nations Global Policy Model (GPM), qui utilise en particulier des hypothèses plus réalistes concernant l’emploi, l’impact de la distribution des revenus sur la demande, et permet d’évaluer l’impact économique du TTIP dans toutes les régions du monde. (Naturellement, ce modèle utilise – comme tous les autres – l’hypothèse complètement fausse que l’économie se met naturellement à l’équilibre…)
Je vous laisse le soin de lire le résumé de l’étude en Français, dont les résultats ne sont pas très optimistes (emphases ajoutées) :
Résumé de l’étude :
Le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement : Désintégration européenne, Chômage et Instabilité
Jeronim Capaldo, Octobre 2014
L’Union européenne et les États-Unis sont actuellement en phase de négociation du partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP, aussi appelé TAFTA), un accord commercial majeur visant une intégration accrue de ces deux zones économiques.
Comme c’est habituellement le cas pour les traités commerciaux, les négociations du TTIP ont été accompagnées de plusieurs études économétriques projetant des gains économiques nets pour l’ensemble des pays impliqués. En Europe, les défenseurs du projet font principalement référence à quatre études, lesquelles prévoient de faibles bénéfices économiques et le remplacement progressif de flux commerciaux intra-européens par des flux commerciaux transatlantiques. Cela amène la Commission Européenne, principal défenseur du TTIP en Europe, à un paradoxe : la politique qu’elle propose favoriserait la désintégration économique de l’Union Européenne.
Le TTIP pourrait aussi avoir d’autres conséquences graves pour l’Union et ses États membres. Dernièrement, plusieurs publications ont montré que les principales études sur le TTIP ne constituent pas une base solide permettant de prendre des décisions politiques, dans la mesure où celles-ci reposent largement sur des modèles économiques inappropriés.
Nous proposons une évaluation du TTIP basée sur un autre modèle, et sur des hypothèses plus probables en matière de coûts d’ajustement économiques et de directions politiques. Nous utilisons le « Global Policy Model » (Modèle des politiques publiques mondiales), développé par les Nations Unies, pour simuler les effets du TTIP sur l’économie mondiale. Cette simulation tient compte du contexte d’austérité prolongée, et des taux de croissance faibles qui caractérisent particulièrement l’Union Européenne et les États-Unis.
Nos résultats se distinguent radicalement des estimations précédentes. Nous trouvons que:
- Le TTIP entraînerait des pertes nettes en termes d’export, à l’échéance de dix ans, en comparaison d’un scénario « sans TTIP ». Les pays du nord de l’Europe subiraient les plus grosses pertes (2,07 % du PIB) suivis par la France (1,9 %), l’Allemagne (1,14%) et le Royaume-Uni (0,95 %).
- Le TTIP entraînerait des pertes nettes en termes de PIB. De manière cohérente avec les chiffres de l’export, les pays du nord de l’Europe subiraient la plus forte contraction de leur PIB (–0,50 %), suivis par la France (–0,48 %) et l’Allemagne (–0,29 %).
- Le TTIP entraînerait une baisse des salaires. La France serait le plus durement touchée avec une perte de 5 500 euros par travailleur, suivie par les pays nordiques (–4 800 euros par travailleur), le Royaume-Uni (–4 200 euros par travailleur) et l’Allemagne (–3 400 euros par travailleur).
- Le TTIP entraînerait des destructions d’emplois. Nous calculons qu’environ 600 000 emplois seraient détruits dans l’UE. Les pays du nord de l’Europe seraient les plus affectés (–223 000 emplois), suivis par l’Allemagne (–134 000 emplois), la France (–130 000 emplois) et les pays du sud de l’Europe (–90 000 emplois).
- Le TTIP entraînerait une diminution de la part des salaires dans le partage de la valeur ajoutée, renforçant une tendance qui a contribué à la stagnation économique actuelle. L’envers de cette diminution serait l’augmentation de la part des profits et des rentes, ce qui indique qu’il y aura un transfert proportionnel des revenus du travail vers les revenus du capital. Le transfert le plus significatif aurait lieu au Royaume-Uni (7 % du PIB seraient transférés des revenus du travail vers les profits), en France (8 %), en Allemagne et au nord de l’Europe (4 %).
- Le TTIP entraînerait une baisse des recettes fiscales. L’excédent dégagé grâce aux impôts indirects (tels que les taxes à la vente ou les taxes sur la valeur ajoutée) par rapport aux subventions diminuerait dans tous les pays de l’Union européenne. La France subirait la plus grande perte (0,64 % du PIB). Les déficits publics en fonction du PIB augmenteraient dans tous les pays d’Europe, les poussant vers ou au-delà des limites du traité de Maastricht.
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Le TTIP entraînerait une instabilité financière accrue et une accumulation des déséquilibres. Avec une diminution des revenus de l’exportation, de la part des salaires et des recettes fiscales, la demande devra être soutenue par les profits et les investissements. Pourtant, avec une consommation atone, on ne peut s’attendre à ce que l’augmentation des profits vienne d’une hausse des ventes. Une hypothèse plus réaliste serait que les profits et les investissements (principalement sous la forme d’actifs financiers) soient soutenus par la hausse du prix des actifs. Le potentiel d’instabilité macroéconomique contenu dans cette stratégie a été démontré par la récente crise financière.
Nos prévisions suggèrent des perspectives peu réjouissantes pour les législateurs européens. Confrontés à une vulnérabilité accrue face aux crises venant des États-Unis et incapables de coordonner leur fiscalité, il leur resterait peu d’options pour stimuler l’activité économique : favoriser une augmentation des prêts privés, avec le risque d’alimenter les déséquilibres financiers, rechercher la dévaluation de la monnaie, ou bien une combinaison des deux.
Nous tirons deux conclusions générales. Premièrement, comme cela a été récemment suggéré dans plusieurs publications, les études actuelles sur le TTIP ne fournissent pas une base convenable pour envisager des réformes commerciales d’envergure. En effet, lorsqu’on utilise un modèle réputé mais différent, les résultats obtenus diffèrent radicalement. Deuxièmement, la recherche de l’augmentation en volume du commerce n’est pas une stratégie de croissance soutenable pour l’UE. Dans le contexte actuel d’austérité, de taux de chômage élevés et de taux de croissance faibles, augmenter la pression sur les salaires nuirait encore plus à l’activité économique. Nos résultats suggèrent que la seule stratégie viable afin de raviver la croissance en Europe consisterait à construire sur un effort politique fort de soutien des revenus du travail.
Pétitions contre le TTIP :
Si vous aussi êtes inquiets de la mise en place du TTIP, vous pouvez signer ces pétitions :
- Celle du collectif Stop TAFTA, qui demande l’arrêt des négociations. Le collectif a demandé une initiative citoyenne (ICE) à la Commission, dont l’enregistrement a été refusé.
- Celle de l’UPR, qui demande à Hollande un référendum sur la question et un retrait de la France des négociations si le « Non » l’emporte.
Références et notes :
Bertelsmann, 2013, Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP), Bertelsmann Stiftung.
Capaldo, 2014, “The Trans-Atlantic Trade and Investment Partnership: European Disintegration, Unemployment and Instability,” Global Development and Environment Institute Working Paper No. 14-03.
CEPII, 2013, Transatlantic Trade: Whither Partnership, Which Economic Consequences?, Centre d’Etudes Prospectives et d’Informations Internationales, Paris.
CEPR, 2013, Reducing Transatlantic Barriers to Trade and Investment, Centre for Economic Policy Research, London.
Ecorys, 2009, Non-Tariff Measures in EU-US Trade and Investment – An Economic Analysis, ECORYS Nederland BV.
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Il y a eu cependant des fuites, qui peuvent être consultées ici ↩
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On sait cela grâce à des accords de libre-échange ou de tels mécanismes mis en place dans d’autres régions du monde. Voir par exemple les exemples présentés dans cet article. ↩
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