RAPPORT 2011 DE SANTE AU TRAVAIL
CONCLUSION COMMUNE DU COLLECTIF DES MEDECINS DU TRAVAIL DE BOURG EN BRESSE
18ème rapport annuel commun d’activité d’un groupe de pairs
SANTEETMEDECINE DU TRAVAIL : APOCALYPSE NOW |
Dans le mot apocalypse, il y a la notion de destruction (tellement présente à l’heure actuelle), mais il y a aussi, au cœur même de l’effondrement et «grâce» à lui, la notion de dévoilement, c'est-à-dire l’éclatement criant de la vérité sur les impasses où peuvent mener les conduites néfastes des uns, facilitées par l’indifférence, l’irénisme péjoratif ou la compromission des autres.
Pour la RECONSTRUCTION imminente, après le chaos et son paroxysme, au cœur des urgences, et à ne pas oublier pour ceux qui doivent rebâtir l’Etat Démocratique (acte premier) :
- Repositionner l’Etat Régalien dans son rôle de régulateur imparable et impartial du monde et de la santé au travail.
- Endiguer le travail dégradé et promouvoir impérieusement le travail décent pour tous.
- Abroger la loi sur la santé et la médecine du travail de Juillet 2011 (et ses décrets d'application), qui institutionnalise la mainmise totale du patronat sur les acteurs de santé au travail.
- Créer les conditions pour une indépendance réelle et non faussée des acteurs de santé au travail, dimension cardinale à l’efficacité.
- Désenclaver la médecine du travail de ses liens incestueux avec le patronat pour permettre (enfin) le déploiement de la pertinence et l’efficacité de sa haute contribution possible dans les actions de transformations favorables à la santé au travail, en synergie avec les acteurs de coercition (Inspection du Travail -CARSAT) ; eux-mêmes pleinement légitimés dans leurs fonctions de protection de la santé des salariés et dans le cadre d’une authentique pluridisciplinarité protégée de tout conflit d’intérêts.
- Déployer un sas totalement étanche entre la gestion des risques dans l’intérêt des employeurs et la prévention en santé au travail dans l’intérêt exclusif des salariés.
- Créer les conditions pour une démocratie sociale optimale en sachant que l’Etat ne doit pas se défausser sur le paritarisme s’agissant des grands enjeux de santé au travail et de la question cruciale de l’indépendance des acteurs de prévention.
Docteurs CELLIER, CHAPUIS, CHAUVIN, DELPUECH, DEVANTAY, GHANTY, LAFARGE
1 rue A. Bertholet 01000 Bourg en Bresse - tél 04 74 23 66 30 Février 2012
Préambule
Analyses et propositions de 2010, toujours éminemment d’actualité – Extrait de la conclusion commune 2010 -
La réforme de juillet 2011 ne touche à aucun des déterminants de progrès bien identifiés par les professionnels de terrain impliqués. Bien au contraire elle démasque l’incroyable parti pris des décideurs. Alors qu’il était urgent de libérer les acteurs de santé pour qu’ils œuvrent en toute indépendance, la mission de santé au travail est confiée aux gestionnaires employeurs en leur donnant, ce qui est incroyable, le pouvoir de décision des orientations de prévention alors qu’ils sont porteurs d’un grave conflit d’intérêt qui a été à l’œuvre déjà dans les dysfonctionnements des services de santé au travail et dans des instances comme le comité permanent amiante, aboutissant aux drames que l’on connaît. Ceci nous amène à une configuration scandaleuse où ceux qui créent les risques sont juges et parties. Dans un contexte où les scandales liés aux conflits d’intérêt se multiplient avec, à chaque fois des morts à la clef, il est hallucinant que les décideurs publics persistent et signent dans leur aveuglement idéologique. Comment peuvent-ils croire qu’ils vont continuer à échapper à leur responsabilité ?
La confusion organisée dans ces jeux d’intérêt doit être cassée : que la question de la gestion des risques qui doit être assurée par les employeurs ne soit pas amalgamée avec l’exercice de la santé au travail comme le prévoit le projet actuel ; que, au contraire, les professionnels de santé au travail soient clairement séparés, dans leur mission et dans leur activité, de ceux qui génèrent les risques, avec de véritables garanties d’indépendance. Le paritarisme de la gestion des services n’est certainement pas une garantie dans le contexte de défaillance de la démocratie sociale (dans les PME en particulier). Un premier gage sérieux pour prouver que l’on sort de la tartufferie consisterait à rendre les employeurs minoritaires dans cette gestion. Mais la situation est devenue tellement grave et l’historique des services tellement englué dans la confusion délétère qu’un traitement de fond avec un éloignement complet des préventeurs de la puissance patronale s’avère indispensable.
La mission de santé au travail doit être confiée à une équipe de professionnels coordonnée par les médecins, lesquels devraient pouvoir, en toute indépendance, mener les actions de prévention exclusivement à partir de leurs diagnostics portés sur la base de leurs constats : il ne peut pas y avoir de santé au travail si on ne fait pas de lien santé/travail. Rappelons le, il ne s’agit plus de, encore et toujours, évaluer et informer mais d’imposer les transformations des situations de travail : c’est cette transformation hautement nécessaire du point de vue des professionnels qui est refusée par le patronat et niée dans le projet de réforme qui émane de lui pour l’essentiel.
Un tel assemblage confusionnel et porteur de dégénérescence est terriblement dangereux pour la santé des salariés mais assurément aussi très pathogène pour ceux qui pratiquent la prévention en santé au travail.
DERNIER CRI D’ALARME APRES 19 ANS D’ALERTE : la dernière réforme met le coup de grâce à la prévention en santé au travail pendant que le chaos et la maltraitance au travail sont à leur acmé.
La réforme actuelle met à mort la médecine du travail (euthanasie déjà bien préparée dans les précédentes réformes) et supprime toute réelle possibilité de prévention en santé au travail. Aucun des déterminants essentiels des atteintes graves et nombreuses à la santé au travail n’a été pris en compte ; bien au contraire nous assistons à une surenchère des processus de déshumanisation au travail sans que rien ne soit fait par les pouvoirs publics pour y remédier.
Il fallait donner une réelle indépendance aux médecins du travail ; or, par cette réforme, ceux-ci sont mis carrément sous tutelle du patronat dans le cœur même de leur activité, puisque les décrets vont jusqu’à confier celle-ci au patronat. Des mesures de faux-semblants sont orchestrées dans les services car il n’est plus question de parler des vrais problèmes et encore moins des vraies solutions ; à la place, se déploient les mesures tragico-comiques de « communication et information » pour apprendre aux salariés à ne pas souffrir malgré leurs conditions de travail totalement délétères. Réunions, diagrammes et diaporamas se multiplient totalement désinsérés de la réalité des problèmes et inopérants du point de vue de la prévention. On fait comme si la frange active de la profession n’avait pas développé un métier extrêmement pertinent, construit des analyses de situations et proposé des transformations parfaitement réalisables. On ose appeler cela « la modernisation » de la prévention alors que le conflit d’intérêt est poussé à son paroxysme et que les professionnels sont muselés. Tout est organisé pour occulter la réalité des besoins : en annexes différents textes qui montrent bien cette volonté de nous faire taire dans une collusion entre les instances ministérielles et les instances patronales responsables de nos services : interdiction de participer à des réunions universitaires en tant qu’intervenants (annexes 2 et 3), en tant qu’enseignants dans une école de sage-femme ; redécoupage de nos secteurs allant à l’encontre de la loi avec demande de dérogation (accordée !!) pour diminuer la représentativité des médecins dans les différentes instances de consultation ; encadrement et «brouillage » des réunions pour, là aussi, étouffer nos propositions et au final, ne déboucher sur rien qui puisse un tant soit peu changer la situation dramatique dans laquelle se trouvent les salariés.
Alors que nous n’avons pas cessé de répéter que la coercition est un point incontournable pour sortir des situations de « non-droit » et d’asservissement, voilà que les instances nous adressent un guide émanant du ministère affirmant que les médecins du travail sont soumis au secret vis-à-vis de l’Inspection du travail (annexe 1) ; l’omerta est bien organisée et rien n’est laissé au hasard. Les
« réformateurs » ont bien compris la puissance diagnostique de l’écoute clinique de la totalité des salariés de façon régulière et dans la sécurité du cabinet médical : ils nous ont progressivement supprimé cette possibilité par la pénurie médicale organisée et le morcellement des activités, dispersées sur différents intervenants pour masquer la vision globale et l’intelligibilité des situations. Ils ont bien compris aussi la puissance de la vraie pluridisciplinarité. Le diagnostic collectif des médecins pouvait aider les inspecteurs du travail et les techniciens de la CARSAT à cibler les actions urgentes et prioritaires. Inspection du travail et CARSAT ont été, comme les médecins, dépouillés de leurs moyens d’agir de manière efficace, et si nous avons dit que nous nous sentons en danger, nous voyons bien que c’est aussi le cas des autres professionnels investis et mobilisés.
Nous déplorons ce nouveau suicide d’un inspecteur du travail mais cela ne nous étonne pas, au vu de la situation de fausseté et d’empêchement qui règne pour tous les professionnels du droit et de la
santé au travail. On l’a vu dans les nombreux scandales en santé au travail, la première étape de la prévention est l’alerte sociale, la mise en visibilité ; or, tout est à nouveau mis en place pour que rien n’émerge. La dé-professionnalisation est un fléau actuel, particulièrement quand il touche les questions de santé : non, une infirmière n’est pas en capacité de faire le même travail qu’un médecin. Non, un administratif n’a pas la compétence pour avoir le pouvoir décisionnel des orientations de la prévention. Les conflits d’intérêts criants, avec la mise sous tutelle de la santé au travail et des professionnels de prévention sous la coupe de ceux qui n’ont aucun intérêt à la mise en visibilité des problèmes et aux transformations en profondeur qu’elle impose, nous font pousser une dernière fois un cri d’alarme. Non, le patronat n’est pas la personne morale qui peut, dans une démocratie être garante de la santé au travail. Non, ce n’est pas un progrès de mettre les acteurs de santé sous la totale dépendance du patronat. Non, la dérégulation ne favorise pas la liberté mais elle organise l’asservissement des plus faibles. Nous en voyons les conséquences dans le chaos et la violence relationnelle inédits dans le monde du travail.
De plus dans des renversements époustouflants, ce sont les victimes qui se retrouvent coupables comme dans la cabale contre les malades et comme le mensonge sur les abus des arrêts maladies, qui en rajoutent une couche à la souffrance et à la maladie, de la même manière que dans les entreprises avec la traque et le camouflage des accidents du travail.
Quant aux témoins qui osent dire la vérité et qui essaient contre « vents et marées » de faire leur travail de prise en charge et d’aide pour maintenir la santé, ils sont eux-aussi menacés et attaqués. Notre quotidien est épuisé de ces « guerroiements » incessants pour répondre « aux conseillers juridiques » qui nous harcèlent sur des points de détails réglementaires dans un piétinement de l’Esprit de la Loi et du Code du travail alors qu’ils sont conçus pour protéger la santé et la dignité des personnes ; le Code de Déontologie est lui aussi détourné vers les intérêts de l’entreprise : le secret qui est là pour la dignité de la personne est utilisé au profit de l’entreprise et pour cultiver le tabou sur les conséquences désastreuses des logiques gestionnaires mortifères. Le Conseil de l’Ordre est maintenant instrumentalisé par les employeurs pour essayer d’empêcher la mise en visibilité des atteintes à la santé dues au travail.
Renversement des valeurs, un Bien est appelé un Mal et inversement ; ce sont les honnêtes professionnels qui se retrouvent devant la justice. Nous avons dû, cette année, aller témoigner pour défendre un inspecteur du travail dont la professionnalité et le dévouement ne sont pas à démontrer. Il a dû se défendre pendant 7 ans dans une affaire rocambolesque où c’est l’entreprise qui l’attaquait qui aurait dû rendre des comptes devant la justice. De la même manière, une de nos collègues qui a osé alerter et défendre par des certificats des salariés en danger dans leur santé du fait du travail, se retrouve elle-même devant la commission disciplinaire du Conseil de l’Ordre pour avoir osé attester d'un lien santé-travail pendant que les délinquants du droit du travail sont dans l’impunité. Ces perversions se multiplient puisque l’Esprit de la loi n’est plus respecté et que l’Etat ne joue plus son rôle de garant de celui-ci et donc de tiers pacificateur : c’est la jungle de la loi du plus fort.
Les manifestations paroxystiques de la puissance du déni perdurent de façon caricaturale et oppressante alors que le monde du travail s’écroule. Déni de l’humain, de ses besoins vitaux, de ses investissements, de ses motivations et éléments de structuration : après tous les déploiements des sciences humaines, les magnifiques explicitations de la psycho-dynamique du travail montrant
l’hyper-investissement de l’homme au travail et la gravité de ce qu’il joue d’essentiel dans la construction de son identité et de sa santé au travail, les logiques mortifères de « chosification du sujet » font comme si l’homme au travail n’était qu’un robot exécutant, toujours suspect de fainéantise quand il tombe malade ou quand il n’arrive pas à exécuter les consignes, alors qu’il y a aussi et de façon massive, le déni de la réalité du travail et de ses besoins. Au final, les décideurs construisent (ou plutôt détruisent) la société sur la base du déni du réel.
Alors que depuis près de vingt ans, chaque année, nous prenons la peine d’expliciter la réalité des constats et d’argumenter sur la réalité des besoins, le ministère a pris strictement le contre-pied de toutes les propositions des professionnels expérimentés et avertis. L’assassinat de la médecine du travail est un élément fort (parmi d’autres) démontrant l’effondrement démocratique, la partialité d’un Etat qui met les professionnels dans l’empêchement total (oui, cette fois, total !) d’exercer leur mission de prévention pour confier celle-ci à ceux qui génèrent les risques, signant là encore, plus que son déni, sa volonté partisane dans un conflit d’intérêt qui a et qui aura des conséquences aussi graves que celles de l’affaire de l’amiante.
Cela aura été l’expérience de toute notre carrière : la force du déni pour laisser libre cours aux logiques partisanes au service des rapacités financières. C’est comme cela que dans toutes les branches professionnelles, les compressions irresponsables d’effectifs (bien plus drastiques que dans les autres pays d’Europe) aboutissent actuellement à ce que les professionnels n’arrivent plus à faire leur métier et décrivent combien c’est douloureux et délétère pour eux et grave de conséquences ; cela est prégnant et oppressant dans le secteur médical et social.
EN CONCLUSION,
Nous voulons dire une dernière fois combien nous sommes atterrés de cette persistance paroxystique du déni et des inversions ; persistance irresponsable vis-à-vis de la santé de la population, qui finit par organiser un chaos parallèle aux autres chaos social et politique. Nous voulons aussi exprimer notre étonnement scandalisé devant toutes les attitudes banalisantes, silencieuses et politiquement correctes, restant dans la contemplation, sans réaction devant tout ce démantèlement de la prévention en santé au travail face à ce grand désastre dans le monde du travail qui devrait au contraire, initier une mobilisation générale et massive.
L’asservissement de l’homme, non pas au travail, mais à des logiques de soumission, totalement coupées de la réalité du travail est à l’œuvre d’une manière inédite, donnant raison à Geneviève Antonioz DE GAULLE qui avait bien annoncé « le totalitarisme de l’argent ». Comme tout totalitarisme, il a eu besoin d’écraser tout ce qui s’opposait à lui. Il peut paraître étonnant qu’il s’en soit pris à la médecine du travail tant celle-ci n’a jamais eu les moyens de son action de prévention, mais le métier construit par une frange active et émancipée de la profession, en prouvant qu’il était possible de faire émerger les dégâts humains de ce système et en analysant leurs causes, est devenue une des cibles incontournables.
Depuis près de vingt ans, nous aurons rempli notre mission d’alerte jusqu’au bout ! Dernier message avant que le bateau coule !
Nous voulons dire toute notre oppression vis-à-vis de cette régression sociale, cette violence et ce mensonge organisé : la perte des vraies professionnalités, le chaos social, les maladies et une immense souffrance en sont les fruits.
Nous sommes les témoins impuissants et maltraités et bons boucs émissaires d’un vrai gâchis humain.
Honte à ceux qui ont organisé dans le pays des Droits de l’Homme une telle maltraitance de l’être humain ; Honte à ceux qui ont laissé faire.
Les décrets ont signé la volonté affichée de l’Etat de satisfaire le patronat en asservissant la médecine du travail à son diktat et à ses intérêts et en annihilant toute prévention indépendante et donc efficace. La déontologie médicale ainsi bafouée, il ne reste plus au Conseil de l’Ordre des médecins qu’à utiliser les voies de recours juridiques comme il l’a annoncé. Tous les défenseurs de la démocratie se doivent eux aussi de rechercher tous les moyens de recours, en espérant que bientôt, l’Etat retrouvera son rôle de protection de la santé et de la dignité des citoyens.
Tout ce descriptif étaye un récit de destruction avancée qui a dévoilé ses mécanismes mortifères nourris du déni du réel, et d’aveuglement piétinant toutes les avancées de la démocratie et des sciences humaines. Il est impossible de penser que nous n’en sommes pas maintenant arrivés à l’étape de la reconstruction.
ANNEXES :
- Annexe 1 : « Le secret vis-à-vis de l’Inspection du travail ». Courrier du collectif des médecins du travail en réaction au guide proposé par le médecin inspecteur régional.
- Annexe 2 : courrier du collectif des médecins du travail de Bourg en Bresse en réaction au refus de notre direction de service de nous laisser intervenir à la société de médecine du travail de Champagne-Ardennes.
- Annexe 3 : 2ème courrier du collectif des médecins du travail de Bourg en Bresse suite au refus de notre direction de service de nous laisser intervenir à la société de médecine du travail de Champagne-Ardennes.
Annexe 1 : « Le secret vis-à-vis de l’Inspection du travail ». Courrier du collectif des médecins du travail en réaction au guide proposé par le médecin inspecteur régional.
Le 7 octobre 2011
Monsieur le Médecin Inspecteur du Travail,
Nous sommes assez atterrés par les dérives que contient le « guide » concernant le secret professionnel du médecin du travail que vous nous avez transmis, quant à sa partie sur l’obligation de secret vis à vis de l’Inspection du travail qui pour nous est une interprétation abusive de la notion de secret , et décalée par rapport à la gravité des constats en santé au travail.
Sortons de la confusion : nous respectons bien sûr le secret de fabrication, et au plus au niveau qu’il puisse l’être, le secret médical.
Voilà plus de quinze ans que se construit notre métier basé sur le témoignage , l’élaboration et la mise en lumière des liens santé-travail, construction très difficile du fait du silence qui a trop longtemps paralysé toute analyse et mise au grand jour de ces liens . A un moment où s’observent de façon sans cesse croissante des constats alertants sur la santé au travail avec, nous le répétons, mise en danger grave voire mortel de la vie des salariés que ce soit sur le plan physique ou mental, à un moment où il fallait justement des mesures urgentes en adéquation avec cette évolution dramatique, cette affaire de secret professionnel vient tenter de paralyser de nouveau les moyens du médecin du travail tout autant que le fait la réforme, qui est en train d’organiser une véritable mise sous camisole des médecins.
Il est surprenant que ce « guide » , après vingt ans d’émancipation de la profession par la mise en visibilité des problèmes et ceci au service de la santé des salariés ,vienne ré-organiser l’omerta alors que la voix des médecins s’est fait de plus en plus forte et a prouvé son efficacité dans la mise en lumière des agissements dans les entreprises. Ce silence que voudrait nous imposer cette pratique du secret professionnel vis-à-vis de l’Inspection du travail vient dangereusement aggraver le déséquilibre entre ceux et celles qui sont mis à mal dans leur corps et leur psychisme, et ceux qui, générateurs des troubles, les subordonnent. Face à cela, nous serions empêchés d’exercer l’alerte ? Au nom du respect du secret professionnel, les médecins auraient le devoir de retourner à leur silence ?
Quel est le nom de cette peur qui a si longtemps paralysé la profession et que l’on tente de nouveau d’infliger à des professionnels dont c’est la MISSION d’ALERTER : peur du pouvoir dominant dans les entreprises ? Peur d’un procès pour violation du secret professionnel alors qu’une vraie justice devrait plutôt être du côté d’ une faute pour non assistance à personne en danger d’autrui par silence sur les dangers infligés ?
Nous souhaitons relancer un débat sur ces questions. Et de là, toujours en relation avec la recherche d’une plus grande efficacité en prévention, relancer la question de la nécessité d’une plus grande coercition vis-à-vis des employeurs.
Nous savons tous que les alertes faites par les médecins à l’intérieur des entreprises n’ont jamais impulsé de véritables améliorations à la hauteur des dangers. Nous avons tous l’exemple des risques psychosociaux, dont on parle maintenant beaucoup dans les entreprises mêmes, de façon très hypocrite, alors que les salariés continuent à souffrir.
Il n’est pas inutile de rappeler que le Code pénal prescrit à chacun d’user de toutes ses prérogatives pour être efficace, et punit les conduites de non assistance à personnes en danger ; le Code de Déontologie impose à chaque médecin une obligation de moyens.
Nous ré-affirmons que nous poursuivrons nos alertes auprès de l’Inspection du travail, parce que ces alertes sont un des moyens les plus pertinents pour œuvrer le plus efficacement possible à notre mission de protéger la santé des personnes dans les entreprises.
Que serait un devoir de silence si celui-ci cautionne la maltraitance ?
Nous vous transmettons cher Confrère, l’expression de nos respectueuses salutations.
Le collectif des médecins du travail de Bourg en Bresse : docteurs Cellier, Chapuis, Chauvin, Delpuech, Devantay, Ghanty et Lafarge.
Annexe 2 : Courrier du collectif des médecins du travail de Bourg en Bresse en réaction au refus de notre direction de service de nous laisser intervenir à la société de médecine du travail de Champagne-Ardennes.
Mme la Directrice du SST Le 7 Octobre 2011
Madame,
Comme c’est décevant et affligeant, ce refus de nous laisser aller faire une journée entière d’enseignement dans une instance aussi importante qu’une Société de médecine du travail !
Nous sommes atterrés de constater l’acharnement avec lequel vous vous opposez à ce que notre travail de Collectif soit valorisé et que notre savoir-faire de groupe de pairs construit depuis près de deux décennies soit diffusé.
Aucun des arguments que vous avancez pour vous justifier ne sont recevables : l’éloignement géographique n’est pas un argument puisque nous sommes régulièrement amenés à faire des formations ou à participer à des congrès dans toute la France. L’argument de la pénurie est vraiment à balayer : le temps alloué de l’ordre de 1 journée ne peut pas être un obstacle au regard de notre investissement au quotidien sur nos secteurs, d’autant que le Pr D. propose de vous indemniser. On ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec tout ce temps médical gaspillé à des fins administratives (réunions extérieures pour PARSAT ou le CISME, réunions multiples concernant l’archivage des dossiers médicaux…) Enfin, le fait qu’il s’agisse d’une intervention hors Rhône Alpes est au contraire une occasion de faire connaître et de valoriser le département de l’Ain du point de vue de la santé au travail, de montrer le dynamisme des professionnels, et peut être une opportunité d’attirer des médecins ou d’autres professionnels de santé au travail dans notre service. Votre positionnement est donc inexplicable, d’autant que le ministère a rappelé la nécessité de valoriser les SST.
Vous ne voulez pas comprendre qu’il s’agit d’une grande reconnaissance vis-à-vis de notre professionnalité et investissement professionnel. Nous vous rappelons notre longue et incessante mobilisation collective qui nous a permis de construire des règles professionnelles d’une très grande pertinence vis-à-vis de l’extrême gravité des besoins en santé au travail. Cette construction collective venait compléter toutes nos formations spécialisées et complémentaires que ce soit en médecine du travail, ergonomie, épidémiologie, psycho-dynamique du travail. Récemment la sortie de notre livre a été signalée même dans une instance comme Parsat. Le Professeur D., lui, ne s’y est pas trompé. Cela fait aussi plus de 10 ans que l’école de sages femmes de Bourg en Bresse nous fait confiance, là aussi, malgré votre véto (voir notre courrier du 5 novembre 2008 concernant tous vos refus). Comment pouvez-vous balayer que c’est un signe de grande reconnaissance de notre expérience et compétence ? Quel sens cela a-t-il, alors que vous nous demandez par ailleurs de faire la promotion de notre service et que l’Etat demande aux SST de promouvoir la santé au travail ?
Nous nous félicitions à votre arrivée à la direction de votre volonté affichée de dialogue et de coopération avec les médecins du travail, de vous appuyer sur l’expérience de ceux qui ont fait leur preuve. Nous nous sommes exprimés en toute franchise avec vous et espérions que nous pourrions coopérer dans la très faible marge de manœuvre que la réforme nous laisse. Vous nous aviez assurés de votre soutien et de votre désir que nous participions à la construction d’un projet de service. Il nous faut déplorer que cela n’ait été qu’un effet d’annonce et vous nous apportez la confirmation que dans la réalité, avec la mainmise du patronat sur vous comme sur nous, rien n’est possible du côté d’une réelle avancée de la prévention en santé au travail, de l’épanouissement de l’authentique médecine du travail, celle qui se déploie au seul service de la santé des salariés. Cette volonté d’asservissement des médecins du travail, à laquelle la réforme actuelle a donné libre
cours éclate dans votre attitude de refus comme dans votre manière de manager les réunions de mise en place de cette réforme : présence obligatoire mais faux débats, fausses pistes d’action déjà mises en place avant la réunion , compte rendus ne comportant pas les critiques et réserves des médecins cela ressemble cruellement aux organisations managériales du « faux semblant » où l’on contraint les professionnels au mépris de leur compétence et de leur éthique et qui sont les premières pourvoyeuses d’atteintes graves à la santé que l’on camoufle sous l’euphémisme de « risques psycho-sociaux ».
Dans ce contexte comment espérez-vous garder notre confiance et nous voir coopérer avec vous ? Cet ensemble est à l’évidence le reflet du puissant conflit d’intérêt qui pèse sur le SST.
A nouveau éclate la question de l’indépendance des acteurs de prévention en santé au travail et nous renvoie en fait à notre devoir indéfectible de recul critique par rapport à ceux qui génèrent les risques et qui se voient octroyer une totale mainmise sur ceux qui s’occupent de l’intérêt exclusif de la santé des salariés.
Par conséquent nous devons faire connaitre notre méfiance, notre total scepticisme par rapport à ce que la direction est en train de mettre en place. Il nous faut dire à vous et aux décideurs que nous n’en voyons pas du tout le sens si ce n’est une nette volonté de canaliser nos ressources dans le sens de l’intérêt des employeurs.
Il faut vous dire que nous nous sentons vraiment bafoués dans notre dignité professionnelle et menacés dans notre responsabilité et notre devoir d’indépendance. Nous vous rappelons vivement que les voies d’efficacité ont été construites, les pistes de transformation ont été données par les médecins du travail. En diluant la voix des médecins du travail dans des grandes réunions, avec des gens qui n’ont pas cette expérience et cette professionnalité, nous avons pu constater que, profitant de la confusion, vous essayez de nous tirer de gré ou de force vers des déploiements qui n’ont pas de sens par rapport à la réalité des besoins en santé au travail. Nous nous sentons manipulés, utilisés comme caution dans la gestion des risques et le faux semblant qu’elle comporte. Ce faux semblant vers toujours plus d’évaluation et d’information sur un mode d’action « com » est dramatique face à ce que nous constatons du monde du travail qui est en train de s’effondrer dans un océan de souffrance.
Si vous poursuiviez dans ce sens au point de piétiner notre cœur de métier, nous ne resterons pas passifs. Vous allez arriver à une seule chose, à l’hémorragie anticipée des médecins du travail fuyant ce management maltraitant et dépourvu de sens. N’allez-vous pas finir par détruire le service dont vous venez de prendre la direction ?
Vous devez savoir que nous répondrons favorablement à la demande du Professeur D. en prenant du temps sur nos congés payés. Nous informerons les instances de régulation internes et externes et le ministère de ce dysfonctionnement évident qui reflète de manière caricaturale la domination patronale des services de santé au travail. A l’heure où les grands discours prônent l’unité pour accompagner l’évolution des services, il est navrant de constater que l’espoir de pouvoir œuvrer ensemble dans l’intérêt de la santé au travail est plus que compromis.
Docteurs Cellier, Chapuis, Chauvin, Delpuech, Devantay, Ghanty, Lafarge Copie à Mr Combrexelle – Directeur général du travail
Aux membres de la commission de contrôle
Aux Conseils de l’Ordre des médecins (national et départemental) Au Dr H – MIRT et Au Pr D Société de médecine du travail
Annexe 3 : 2ème courrier des médecins du travail de Bourg en Bresse suite au refus de notre direction de service de nous laisser intervenir à la société de médecine du travail de Champagne-Ardennes
Madame la directrice du SST Le 10 novembre 2011
Madame,
Il est paradoxal que vous vous sentiez agressée ou menacée par notre courrier du 7 octobre 2011 en réponse à votre refus. Cela n’était aucunement notre volonté. Il est même surprenant que vous fassiez ce renversement alors que c’est nous qui faisons les frais de votre décision dont vous minimisez l’importance. Quel sens cela a-t-il de nous refuser l’invitation d’un Professeur d’Université qui renvoyait, à nous et à notre service, une très belle reconnaissance de nos nombreuses années d’investissement. Cette décision engendre chez nous une forte résonnance avec ce que nous constatons en santé au travail. Nous avons longuement décrit le drame de ces deux mondes qui ne peuvent plus communiquer avec, d’un côté, un management complètement coupé des réalités de l’humain et du travail et de l’autre, les salariés qui souffrent et tombent malades tout en essayant de travailler malgré ce management qui ne cesse de pondre des consignes et des ordres coupés du réel de leur travail. Devons-nous vous le rappeler : La France est lanterne rouge en Europe concernant de nombreux indicateurs de la santé au travail. Le conflit inhérent à la relation salariale est maintenant empoisonné dans notre pays comme nulle part en Europe. Faisant intrinsèquement partie de la nette aggravation du risque psychosocial en France, il y a le fait même de la démultiplication des fausses analyses et fausses solutions. Un enracinement affligeant dans le faux-semblant en lien avec l’invasion des dérives managériales en complet déphasage avec les réalités (c’est bien cela la DEREALISATION), a pour conséquence un vécu de non-sens à un degré inédit dans la période contemporaine. Est-ce cela que vous voulez reproduire dans votre service en vous installant dans un auto satisfecit déconnecté du réel ? Nous ne pensons pas qu’il soit anodin que vous empêchiez l’expression de l’authentique médecine du travail alors que nous assistons, dans le service, à un déploiement d’actions de communication très éloignées des besoins de santé au travail. Nous nous interrogeons : comment allez vous faire pour prendre en charge ce « risque psychosocial » si vous le générez vous-même dans votre propre service ?
Nous ne pouvons vous en vouloir des aberrations destructrices de la réforme. Celle-ci a idéologiquement œuvré à contre-sens en organisant et légalisant une situation toxique de conflit d’intérêt et de confusion de genre entre gestion des risques dans l’intérêt des employeurs, et prise en charge de la santé au travail par les médecins du travail dans l’intérêt exclusif de la santé des salariés. Nous espérons vivement que les décrets d’application corrigeront efficacement cette grave anomalie en instituant une séparation entre ces deux entités antinomiques par la mise en place d’un réel espace d’autonomie des médecins du travail pour qu’ils puissent mener des actions dans le champ propre et prioritaire de la santé compte tenu des constats et en toute indépendance. En attendant et de toute façon, il est important pour que nous puissions réellement travailler ensemble que vous n’en rajoutiez pas du côté de la déréalisation et du mépris à notre égard. Nous l’avons dit, vous avez eu a priori notre confiance ; vous êtes en train de la perdre par vos actes posés : la réforme ne vous demande pas de ne pas tenir compte des avis des médecins et de faire comme si cela était le cas dans un jeu qui pourrait bien être vécu comme manipulatoire ; la réforme ne vous demande pas de piétiner le savoir-faire et l’expérience de médecins reconnus par des instances aussi importantes que l’Université.
Aux acteurs externes destinataires de nos courriers à qui nous demandons de s’emparer des questionnements que nous mettons en visibilité, nous posons la question : trouvent-ils normal que l’on refuse à des praticiens expérimentés et mobilisés de très longue date, d’intervenir sur l’invitation d’un professeur de Faculté pour
œuvrer à la réflexion sur la grave question de la prise en charge des atteintes à la santé au travail sous le prétexte que ce n’est pas dans la région ? Trouvent-ils normal que l’on nous refuse de manière itérative depuis des années d’intervenir à l’Ecole de sage-femme de Bourg en Bresse (ville de notre activité professionnelle) alors qu’il est essentiel que ce corps de métier soit sensibilisé à la grave question des risques au travail de la femme enceinte et de sa protection ? Est-ce que la violence est de notre côté, nous qui œuvrons malgré tout et prenons sur notre temps libre, sur nos congés, pour assumer ces responsabilités entravées par notre propre service.
A ces nombreux acteurs externes qui ont compris la justesse de nos témoignages depuis de nombreuses années et la nécessité de parler haut et fort compte tenu des nombreux obstacles obérant le bon fonctionnement de la médecine du travail en contraste oppressant avec la dégradation en continu des conditions de travail (l’actualité ne nous a-t-elle pas donné raison ?) nous demandons si la disproportion, l’agressivité, la menace font partie de nos valeurs et sous-tendent toutes nos actions ? Il est impossible qu’ils ne comprennent pas que nous sommes à exclure parce que nous disons toute la vérité sur cette question de la santé au travail, vérité bien dérangeante tant les conséquences sont graves et que l’on continue à aller à l’inverse des vraies solutions ?
Faire taire, isoler, contraindre et soumettre, c’est cela qui rend malades les salariés. Les apparentes soumissions
« pour avoir la paix », sont elles-mêmes des violences rentrées, toujours susceptibles de ressortir. Nous ne nous soumettons pas parce que les enjeux de santé sont trop graves et que le faire-semblant qui cherche à se déployer n’est pas du côté de la santé et aussi parce que nous voulons garder l’espérance qu’une vraie coopération, dans un vrai dialogue, sera un jour possible.
Quand nous disons que ce management déréalisé fait fuir les plus motivés et les plus expérimentés et qu’il sape les fondements mêmes du travail, il n’y a aucune menace (la volonté d’intimidation n’est pas de notre côté) mais il s’agit d’un constat que nous faisons, avec l’analyse et la vision claire d’un retour inéluctable du réel qui s’annonce dans notre société comme dans notre service. Pour le moment, dans notre service, nous nous considérons en danger (danger pour notre santé et pour notre responsabilité) ; nous nous sentons pris en otage entre dire le réel et passer pour des agresseurs ou bien voir notre parole déniée et donc être utilisés comme caution. Que nous soyons présents ou pas aux réunions, cet écrit, comme le précédent, renvoie des lignes de structuration très fortes pour organiser les grands axes d’action de notre service. Que nous soyons présents ou pas aux réunions, nous continuerons de donner notre avis sur les vrais besoins en santé au travail et nous adresserons des propositions à la CMT et au CA sur les orientations qui seraient nécessaires à une véritable prévention en santé au travail.
Nous serions, nous aussi, prêts à vous rencontrer mais il faudrait en préambule des gages d’un authentique dialogue, d’une réelle possibilité de confiance, celle-ci venant d’être, à plusieurs reprises, cruellement mise à mal. De tels gages faciliteraient très concrètement notre présence sans appréhension aux réunions du service.
Nous vous prions de croire, Madame, à l’expression de nos salutations distinguées. Docteurs Cellier, Chapuis, Chauvin, Delpuech, Devantay, Ghanty, Lafarge
Copie à Mr Combrexelle, aux membres de la commission de contrôle du SST, aux Conseils de l’Ordre des médecins, au MIRT, au Pr D. Société de médecine du travail
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