Tribune publiée le 15 juillet 2015 par Pierre Khalfa, co-président de la Fondation Copernic
« Les propositions de l’Eurogroupe sont de la folie. Cela va au-delà de la sévérité, vers l’envie de vengeance, la destruction totale de la souveraineté nationale et aucun espoir de soulagement. On peut supposer que c’est conçu pour être une proposition que la Grèce ne peut pas accepter, mais, même ainsi, c’est une trahison grotesque de tout ce que le projet européen était censé représenter ». C’est ainsi que le prix Nobel d’économie Paul Krugman a résumé sur son blog les propositions de l’Eurogroupe devenues un accord conclu dans la nuit du 12 au 13 juillet entre la Grèce et les autres gouvernements de la zone euro.
Comment en est-on arrivé là six mois après la large victoire de Syriza et quelques jours à peine après le refus massif par le peuple grec de l’ultimatum des « institutions » ? Ces dernières, utilisant pour cela leur bras armé, la Banque centrale européenne (BCE), ont mis en place une stratégie d’étranglement financier du pays qui a mis le système bancaire au bord de l’effondrement et a abouti à la paralysie économique. Cette stratégie a été mise en œuvre avec l’accord de tous les dirigeants européens, y compris François Hollande. L’objectif unanime des dirigeants européens était d’empêcher un succès du gouvernement Syriza. Il fallait montrer qu’il était impossible de mener une politique alternative en Europe même, et surtout, si elle résultait d’une décision démocratique. Comme l’avait exprimé sans vergogne M. Junker « il ne peut avoir de choix démocratique contre les traités européens ». Les institutions et les gouvernements européens avaient ainsi parfaitement compris l’enjeu de la situation : un succès de Syriza remettrait en cause trente ans de néolibéralisme en Europe et risquerait d’entraîner une contagion dans tout le continent à commencer par l’Espagne avec Podemos.
Pour les plus extrémistes des dirigeants européens, tout, même une sortie de la Grèce de l’euro, serait préférable à ce scénario catastrophe. La question peut ainsi être résumée : le meilleur scénario de capitulation de Syriza doit-il avoir lieu en dehors ou dans le cadre de l’eurozone ? Les dirigeants allemands et leurs satellites ont fini par se convaincre, après l’épisode du référendum, qu’il valait mieux expulser la Grèce de la zone euro, ce qui aurait servi d’exemple à tous les autres pays et permis ainsi de discipliner la zone euro. Les dirigeants français renâclaient au contraire devant cette éventualité au vu des conséquences imprévisibles d’une sortie de la Grèce. Mais, François Hollande et Angela Merckel étaient d’accord sur le fond : le gouvernement grec devait capituler. Le soutien du président français à Alexis Tsipras ressemblait fort à la corde soutenant le pendu.
La question est de savoir pourquoi Alexis Tsipras s’est inscrit dans ce scénario. Syriza a gagné les élections en promettant à la fois d’en finir avec l’austérité et de rester dans l’euro. C’est la combinaison de ces deux positions qui a fait son succès, une grande majorité de grecs étant pour rester dans l’euro malgré la politique de la Troïka. Tenir ce double objectif supposait de chercher un compromis. Mais tout compromis renvoie à des rapports de forces et le gouvernement grec s’est enfermé lui-même dans le cadre de négociations particulièrement déséquilibrées. Rester strictement dans ce cadre ne pouvait mener qu’à la catastrophe. Contrairement à ce qui était préconisé par nombre d’économistes et de responsables politiques, et ce au sein même de Syriza, il s’est refusé à prendre la moindre mesure unilatérale qui lui aurait permis de tenter d’améliorer son rapport de forces [1] car cela aurait pu aboutir à une sortie de l’euro. Il semble qu’in fine l’objectif de rester dans l’euro l’ait emporté sur tous les autres. À partir de ce moment, le gouvernement grec ne pouvait que reculer toujours plus. Toutes les lignes rouges qu’il avait lui-même fixées se sont ainsi effacées les unes après les autres dans la recherche désespérée d’un accord.
Certes une sortie de l’euro n’aurait pas été la solution optimale pour la Grèce. Elle aurait probablement été chaotique au moins à court terme. Mais elle aurait été préférable à un accord humiliant qui met la Grèce sous tutelle. Elle aurait mis en échec le chantage des dirigeants européens et aurait au moins restauré la possibilité pour le peuple grec de prendre son destin en main. La leçon doit être maintenant tirée par tous les mouvements progressistes en Europe. Jamais les « institutions » n’accepteront de voir s’installer dans un pays européen un gouvernement menant une politique qui rompt avec le néolibéralisme. Dans une telle situation, ne pas craindre de sortir de l’euro est la condition de toute politique alternative.
Pour aller plus loin : 1938, Munich - 2015, Berlin, article de Jean-Marie Harribey http://alternatives-economiques.fr/blogs/harribey/2015/07/14/1938-munich-–-2015-berlin/
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