Une lettre lui a été adressée ce matin et transmise à macon-infos. En voici son contenu.
Monsieur le Préfet, en Saône et Loire, il y a des enfants qui dorment dans la rue.
Le dispositif d'hébergement d'urgence, le fameux 115, est coordonné par le SIAO (Service Intégré de l'Accueil et de l'Orientation). Ce service régule l'accès aux places d'hébergement. Mais le 115 stricto-sensu est réservé aux adultes et de ce fait inaccessible aux familles avec enfants mineurs. Jusqu'au début de cette année, ces familles étaient hébergées dans des hôtels.
La circulaire du 20 février 2015 relative à "la substitution de dispositifs alternatifs aux nuitées hôtelières et à l'amélioration de la prise en charge à l'hôtel" s'est traduite par un blocage complet de l'accès aux nuitées d'hôtel, en oubliant de mettre en place les dispositifs alternatifs qui étaient annoncés. On en arrive même aujourd'hui à ne plus savoir qui a en charge la responsabilité de l'hébergement d'urgence des familles avec enfants mineurs. Peut-être allez-vous nous éclairer sur ce point?
Presque au même moment, mais est-ce un hasard, se discutait la réforme de la loi sur la demande d'asile. Cette loi qui a commencé à être mise en oeuvre le 20 juillet dernier, mais qui n'entrera complètement en application qu'en fin d'année, prévoit l'hébergement de tous les demandeurs d'asile pendant la période d'instruction de leur dossier et cela, quelle que soit la procédure dont ils relèvent. Ce n'est pas vraiment une faveur, mais la mise en conformité avec les directives européennes. La "contrepartie" à cette avancée est une instruction des dossiers plus rapide et la mise en oeuvre plus systématique des mesures d'éloignement pour les déboutés du droit d'asile.
Mais que voit-on depuis le 20 juillet? Le versant "éloignement" est appliqué avec détermination, il y a eu multiplication des assignations à résidence pour les familles fraîchement déboutées. Par contre l'accès à l'hébergement pour tous les demandeurs d'asile se fait attendre. L'OFII (Office Français de l'Immigration et de l'Intégration) convoque rapidement à un entretien dit de "vulnérabilité" à Dijon et délivre un code censé indiquer vers quel type d'hébergement vont être orientées les personnes.
Ensuite? Et bien ensuite il faut attendre qu'il y ait de la place. Combien de temps? "On interroge les opérateurs" nous répondent invariablement vos services. On pourrait raisonnablement penser que durant cette attente les familles puissent faire appel à l'hébergement d'urgence inconditionnel. Malheureusement, comme nous l'expliquons au début de cette lettre, pour les familles c'est peine perdue.
A déracinés, nous l'avons vécu à plusieurs reprises. Du 10 avril au 22 juin 2015, deux familles ont dû être abritées dans la rue, l'une sous tente et l'autre en caravane, soit deux mois et demi avant d'être hébergées décemment. Depuis le 2 septembre, une famille de 5 enfants (de 2 ans à 9 ans) est abritée en caravane dans la rue, après avoir galéré durant plus d'une semaine. La nuit du jeudi 3 septembre au vendredi 4, une jeune femme enceinte de sept mois, sa fille de 2 ans et son compagnon n'ont eu comme seul abri qu'une tente et des couvertures dans le recoin d'un jardin public de la ville.
Sur Mâcon, ces situations sont quelque peu adoucies par la présence de l'accueil de jour qui offre le repas de midi et la possibilité de se tenir propre. Mais ces conditions précaires sont peu compatibles avec la préparation d'un dossier d'asile nécessitant interprétariat, mise en ordre de souvenirs douloureux et rédaction argumentée, avec documentation contextualisée. Pourtant, de la clarté de ce dossier dépendra tout l'avenir du demandeur d'asile.
Avoir subi des mauvais traitements, avoir fui son pays pour échapper aux persécutions, arriver dans un pays dont on ne connaît pas la langue, épuisé, parfois malade et s'entendre dire qu'il n'y a pas de places d'hébergement, parce que l'on est accompagné d'un ou de plusieurs enfants mineurs, c'est véritablement incompréhensible.
A entendre les "opérateurs" (organismes gérant les hébergements) qui ne font que relayer les consignes préfectorales, les enfants seraient en danger dans leurs structures, lesquelles sont réservées aux adultes. Faut-il en conclure pour cela qu'ils seraient plus en sécurité dans la rue?
Ce qui nous interroge, c'est que la France est partie pour accueillir dix fois moins de demandeurs d'asile que l'Allemagne en 2015 et que malgré cela, la qualité de l'accueil n'est pas au rendez-vous. En Saône et Loire, très peu de personnes sont arrivées cet été et on nous répète toujours qu'il n'y a pas de places! Alors, on nous explique que c'est la faute aux déboutés du droit d'asile qui ne veulent pas repartir, malgré les mesures contraignantes qui sont mises en oeuvre pour cela. On nous dirait presque que c'est la faute aux associations qui accompagnent les migrants.
Monsieur le Préfet, les familles qui arrivent pour demander l'asile dans notre pays ne cherchent pas à savoir qui est responsable du manque de places, elles demandent seulement que leurs enfants ne dorment pas dans la rue. A qui faut-il s'adresser pour cela?
A Mâcon, le 9 septembre 2015 Association déracinés
Photo d'accueil : Comme seul abri, une tente et des couvertures dans le recoin d'un jardin public de la ville.
Commentaires