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Les Possibles — No. 05 Hiver 2015
Reconquérir la propriété : un enjeu déterminant pour l’avenir des communs
mardi 6 janvier 2015, par Fabienne Orsi
La reconquête de la propriété constitue probablement l’un des principaux enjeux pour l’avenir du mouvement des communs. Telle est la position que j’aimerais défendre ici. Communs et propriété sont intimement liés. Le renouveau du thème des communs dans la littérature comme la montée croissante des initiatives citoyennes [1] s’inscrivent en grande partie en réaction à l’extraordinaire montée en puissance de la propriété privée et exclusive dans de nombreux domaines et territoires : extension de la propriété privée et exclusive à des domaines jusque-là organisés selon des principes d’ouverture et de libre accès (la connaissance, la recherche fondamentale), entrée de la propriété intellectuelle selon des normes renforcées dans les accords de commerce mondial et creusement des inégalités d’accès aux biens essentiels, processus massif d’accaparement des terres et des mers, détournement de la propriété publique au profit d’un mouvement grandissant de privatisation et de ventes des biens et des services publics par les États.
Dès lors, si l’on veut bien admettre que la résurgence du thème des communs participe d’une recherche de solutions alternatives à la montée de l’exclusivisme en même temps qu’à la perte du contrôle citoyen sur la chose publique, la question se pose souvent de savoir si la construction des communs doit se faire contre la propriété ou avec elle. Or, introduire l’idée d’une reconquête de la propriété, c’est défendre l’idée selon laquelle opposer la propriété aux communs signifie se priver collectivement du pouvoir que cette institution confère, c’est de fait accepter et s’inscrire dans le courant dominant pour penser la propriété, à savoir qu’elle ne peut être que privée et exclusive, que la propriété ne peut être qu’un droit d’exclure fondé sur le droit subjectif et absolu de l’individu.Opposer le commun à la propriété, c’est en somme s’interdire de sortir du schéma de pensée imposé par l’idéologie néolibérale.
Reconquérir la propriété, c’est donc se libérer du poids de l’idéologie dominante pour s’autoriser à
penser différemment la propriété. C’est ouvrir des voies pour inventer et concevoir son usage et sa fonction à des fins différentes, garantes et protectrices de valeurs telles que la préservation des ressources, le partage égalitaire des richesses, la solidarité, le droit à l’existence.
Dans cet article, un premier paragraphe revient sur le poids de l’idéologie anti-communs chez les économistes, en particulier, et son impact dans la « fabrication » du monde. Cela permettra ensuite de resituer l’apport déterminant des travaux de l’école de Bloomington et d’Elinor Ostrom dans la compréhension des communs et de la place centrale de la propriété dans leur gouvernement. Ce faisant, nous verrons que cette compréhension passe par une appréhension de la propriété différente de la conception dominante, laquelle ouvre, au-delà du cadre de pensée d’Ostrom, des voies particulièrement fécondes pour penser et construire la propriété et ses usages de façon radicalement nouvelle.
Des physiocrates à l’école de Chicago : la puissance d’une idéologie « anti-communs »
Chez les économistes, ce sont surtout les penseurs libéraux qui, massivement, se sont intéressés à la propriété et ont constitué des théories de la propriété fondée sur le postulat de l’efficacité supérieure de la propriété privée et sur une critique radicale de toute autre forme de propriété. En réalité, depuis les physiocrates, les
assauts contre les droits collectifs de propriété sont consubstantiels aux luttes violentes contre les communs (ou communaux) et constituent le socle de la pensée libérale [2]. L’ouvrage intitulé Les propriétés collectives face aux attaques libérales (1750-1914) donne un éclairage particulier sur le rôle déterminant des physiocrates dans la remise en cause de toutes les formes collectives de propriété et la privatisation des terres d’utilisation collective qu’ils jugent indispensable à la modernisation de l’agriculture [3]. Les auteurs montrent comment, dès 1750, partout en Europe occidentale et en Amérique latine, c’est sous l’influence des intellectuels physiocrates que les processus de division des communaux s’organisent. Pour les physiocrates, la notion de collectif est synonyme d’improductif, et il s’agit de considérer l’individualisme agraire et la privatisation des terres comme les moyens les plus efficaces pour développer l’agriculture. Quant à l’avis du peuple sur la question, Nadine Vivier souligne que « tous les
physiocrates se font l’écho des réactions négatives du peuple comme un indice de l’ignorance et de la rusticité des gens accusés de méconnaître leurs intérêts ainsi que les intérêts généraux de l’agriculture ».
Plus de deux siècles plus tard, c’est sur la base d’arguments étonnamment semblables que les nouveaux théoriciens de la propriété de l’école de Chicago, à la suite d’Hardin (1968) et de son texte fameux « The tragedy of the commons » [4], fondent leur critique de la propriété commune. Ce sont, dans les écrits de ces
auteurs, les terres d’utilisation collective d’avant la révolution agraire et leurs enclosures qui sont prises en exemple pour asseoir leur critique des communs. Ce qui intéresse les auteurs comme Alchian et Demsetz est l’analyse des coûts de transaction liés à la rareté en économie capitaliste. Leur objectif est de fonder une théorie des droits de propriété remettant au cœur de l’analyse la propriété privée et exclusive comme pilier fondamental du capitalisme et proposant une exploration de la structure des droits de propriété basée sur le postulat de l’efficience [5]. Tout comme les physiocrates, ces auteurs auront une influence considérable aussi bien sur le plan politique qu’en matière de théorie économique [6]. Nous sommes en réalité au cœur du tournant néolibéral qui, entre temps, s’est constitué et développé en un puissant mouvement politique et économique. La fabrique de l’idéologie néolibérale en matière de propriété s’est ainsi faite en occultant, effaçant, tout un pan de l’histoire des communs et des droits collectifs de propriété au profit de la propagation d’une vision hégémonique et dogmatique de la propriété ne pouvant être conçue que comme privée et exclusive [7]. Certes, cette conception de la propriété est celle que consacrent juridiquement la plupart des législations des pays occidentaux, comme pour la France, depuis 1804, le Code Napoléon. Cependant, bien que les attaques contre les droits collectifs de propriété n’aient cessé de s’étendre depuis lors et ce partout sur le globe, des pratiques et des droits collectifs ont perduré, des luttes pour leur sauvegarde se sont multipliées, et même si d’aucuns y voient des combats d’arrière-garde pour la défense de simples survivances d’un ancien monde, il se pourrait bien que la nature de ces pratiques, l’organisation et la distribution de ces droits servent de références pour l’élaboration de nouvelles manières de concevoir
la propriété selon des principes de partage, de droit à l’existence et de solidarité.
Elinor Ostrom, la propriété comme faisceau de droits et le retour des communs
Les travaux d’Elinor Ostrom et de l’école de Bloomington comptent pour beaucoup dans l’attention récente portée aux communs et au retour du thème dans la littérature [8]. Les conséquences théoriques, politiques et intellectuelles de ces travaux sont de portée considérable, puisque c’est à partir de l’accumulation de connaissances empiriques que vont enfin pouvoir s’élaborer des contre-arguments solides aux thèses défendues par les détracteurs
de la propriété commune et des communs voilà plus de deux siècles !
Clairement, les travaux conduits sur les régimes de propriété dans le domaine des ressources naturelles, puis l’analyse conceptuelle de la propriété développée par Schlager et Ostrom sur la base de ces observations empiriques vont constituer un tournant décisif [9]. En proposant une analyse originale de la propriété à partir d’une définition en termes de faisceau de droits, Schlager et Ostrom vont donner corps au concept de propriété commune, rendre compte de l’existence de cette forme de propriété, en décrire le fonctionnement, sa mobilisation par les acteurs ainsi que sa capacité à gérer efficacement et durablement des ressources rares. Il convient de s’arrêter un instant sur cette définition de la propriété en termes de faisceau de droits (ou bundle of rights) pour indiquer qu’il ne s’agit pas d’une définition propre à l’école de Bloomington. Cette conception de la propriété émane d’un courant juridique
critique américain, le réalisme juridique, dont le développement au cours du XXe siècle a conduit à une véritable révolution dans la conception même de la propriété aux États-Unis. Notons qu’il ne s’agit pas d’un courant porté exclusivement par des juristes, puisque des économistes institutionnalistes s’inscrivent dans la même démarche, en tout premier lieu John Commons dont le rôle fut précurseur dans l’élaboration de la conception de la propriété comme faisceau de droits. Le courant du réalisme juridique a introduit une manière de penser et de concevoir la propriété de
façon radicalement nouvelle, selon des dimensions sociales et politiques, s’opposant en cela à la vision jus-naturaliste de la propriété [10]. Chez les « réalistes », la propriété n’est plus considérée comme un droit absolu d’une personne sur une chose, mais relève d’un faisceau de droits reliant, par un ensemble complexe de relations sociales et juridiques, le propriétaire à d’autres personnes à propos de son bien. Le faisceau et la nature des droits qui le composent se définissent, se décomposent et se recomposent en fonction des situations, des rapports de force et des époques concernées. Il s’agit d’un changement radical de perspective pour penser la propriété qu’il convient de replacer dans le contexte intellectuel et politique des États-Unis de la fin du XIXe siècle et du début du XXe. La question ne porte pas, à cette époque, sur la propriété commune, mais il s’agit de développer une vision
alternative de la propriété permettant notamment de s’opposer au courant du « laissez-faire » alors en plein débat aux États-Unis. Les enjeux sont donc d’ordre théorique mais aussi politique : il s’agit de défendre l’idée et la possibilité d’un État interventionniste dans la régulation de l’économie en s’attaquant à deux piliers fondamentaux
du « laissez-faire » : les lois naturelles de marchés régulateurs de la justice sociale et le respect absolu des droits de propriété. Les enjeux sont d’autant plus importants que le « laissez-faire » et le principe de droit naturel de propriété sont considérés comme étant inscrits dans la constitution des États-Unis, impliquant, pour ses
défenseurs, le respect du principe d’intervention minimale de l’État dans la régulation économique et le rejet de toute limitation à l’exercice des droits de propriété ou à la liberté de contracter. Dès lors, l’apport des réalistes américains participe de cette lutte contre le « laissez-faire », car, en s’attaquant au droit naturel de propriété,
ils vont grandement contribuer à affaiblir les droits constitutionnels afférents et autoriser l’intervention de l’État dans le contrôle et la redistribution des droits de propriété. De fait, ces travaux vont jouer un rôle majeur dans la mise place du New Deal aux États-Unis. Notons que si le courant du réalisme juridique se développe principalement aux États-Unis, en France, certaines personnalités comme le juriste Léon Duguit ont œuvré dans la même perspective
de renversement de la vison dominante de la propriété au profit d’une nouvelle définition radicalement opposée à la conception individualiste fondée sur le droit subjectif et absolu de l’individu[11]. Bien que les travaux de Duguit, qui sont une attaque frontale contre le Code Napoléon, n’aient pas eu en France l’impact de celui de ses confrères américains sur la doctrine et la pensée juridiques, l’existence même de ces travaux de la part d’un juriste français et le débat qu’ils ont suscité un peu partout dans le monde témoignent du fait que les grandes transformations du droit ne relèvent pas tant de sa nature, qu’il soit de tradition continentale ou de common law, que d’une véritable volonté des acteurs de terrains et intellectuels à se saisir de la question et la transformer en un combat politique.
Quoi qu’il en soit, lorsque Ostrom publie en 1992 avec sa collègue juriste Schlager l’article intitulé « Property-rights regimes and natural resources : A conceptual analysis » [12], c’est un véritable renouveau de la notion de faisceau de droits qui s’opère en même temps que nous est proposée une puissante conceptualisation de la propriété commune. Un renouveau de la notion tout d’abord, car, comme nous avons eu l’occasion d’en discuter en détail dans un article précédent, au cours de la décennie 1970, la conception de la propriété comme faisceau de droits s’est vue récupérée et détournée par la théorie des droits de propriété de l’école de Chicago, de même que par la doctrine juridique américaine qui en a fait en puissant outil de défense du droit d’exclure ; cette récupération et ce
détournement s’étant faits au prix de nombreuses impasses et contradictions.
Si l’article de Schlager et Ostrom revêt autant d’importance, c’est qu’il renoue avec la conception originelle de la propriété comme faisceau de droits et, ce faisant, lui redonne toute sa portée et son ampleur, et ce en la plaçant au cœur des régimes de propriété organisant les communs du domaine des ressources naturelles. Les auteurs proposent un schéma conceptuel permettant de distinguer et caractériser les différents régimes de propriété selon divers
faisceaux de droits distribués entre des utilisateurs de ressources naturelles. Leur analyse découle d’études empiriques portant majoritairement sur des systèmes de ressources naturelles, qualifiés de pools communs de ressources (CPR : lacs, rivières, pêcheries, systèmes d’irrigation, forêts, etc.) qui produisent ou sont composés d’unités de ressources (poissons, arbres, quantité d’eau, etc.). Ces CPR se caractérisent à la fois par le fait qu’ils sont constitués de biens « rivaux » en ce sens que la consommation, par un individu donné, d’une partie des biens qu’il inclut, prive les autres de la jouissance de ces mêmes biens et qu’il est difficile d’exclure les utilisateurs potentiels. Ainsi, ils partagent à la fois certains attributs des biens privés et des biens publics.
La question posée est celle de savoir quel régime de propriété, dans une situation donnée, se présente comme le plus approprié pour assurer la consommation de la ressource tout en garantissant sa préservation et son développement durable. Pour étudier le type de propriété associé à un pool commun de ressources particulier,
Ostrom et Schlager proposent une définition de la propriété décomposée en cinq droits : le droit d’accès, le droit de prélèvement, le droit de gestion, le droit d’exclure, le droit d’aliéner.
Ces droits sont indépendants les uns des autres, mais dans de nombreux cas de CPR, notamment des pêcheries, ils sont, la plupart du temps, détenus de manière cumulative. Ces cinq droits sont répartis entre deux niveaux hiérarchiques : Un niveau inférieur qualifié d’opérationnel (operational level property rights) où se situent les droits d’accès au CPR et le droit de prélèvement (withdrawal) des unités de la ressource (des poissons dans une pêcherie, du bois dans une forêt, etc.). Il s’agit des droits d’usage. On notera ici que, contrairement à ce que l’on entend souvent dans le débat sur les communs, les droits d’usage ne s’opposent pas à la propriété mais participent de sa définition. Il s’agit là d’une différence de perception très significative dont les conséquences sur la manière de penser et construire les communs sont majeures.
Un niveau supérieur dit de choix collectif (collective-choice rights) où se définissent les règles qui seront appliquées au niveau opérationnel. À ce niveau, se situent trois types de droits : le droit de gestion (management), le droit d’exclure et le droit d’aliéner. Le droit de gestion est le droit à réguler les conditions d’utilisation de la ressource ainsi que les changements nécessaires à son amélioration. Il s’agit ici plus spécifiquement du droit à déterminer les règles de prélèvement de la ressource. Le droit d’exclure concerne le droit de déterminer qui va bénéficier des droits d’usage et si ceux-ci seront transférables ou non. Enfin, le droit d’aliéner est défini comme étant le droit de vendre ou de céder entièrement ou partiellement l’un ou les deux droits d’exclure et de gestion. Sur la base de cette décomposition de la propriété en cinq droits indépendants, quatre types de détenteurs de droits de propriété
sont caractérisés ; cette catégorisation s’appliquant aussi bien à un individu qu’à une collectivité (ou une communauté).
La première catégorie est celle des utilisateurs autorisés (autorized users) dont les droits se situent uniquement au niveau opérationnel en détenant uniquement les droits d’usage. Les détenteurs de droits d’usage et de gestion (claimants) possèdent les mêmes droits que les utilisateurs autorisés mais détiennent en plus un droit relevant
du niveau supérieur, le droit de gestion. La troisième catégorie est celle des propriétaires sans droit d’aliéner (proprietors), mais possédant le droit d’exclure en plus des autres droits du faisceau. Enfin, la catégorie des propriétaires (owners) qui est la seule à détenir l’ensemble du faisceau de droits.
Cette typologie a d’abord comme avantage de rendre compte de la complexité du monde des droits de propriété. Elle permet surtout d’identifier des régimes de propriété se composant et se décomposant selon la distribution des droits qu’ils incluent. En matière de propriété partagée par une communauté, Ostrom indique qu’« un groupe d’individus est considéré comme partageant des droits communautaires de propriété lorsque ces individus ont au moins formé des droits collectifs de gestion et d’exclusion en relation avec un système de ressource définie et des unités de ressources produites par ce système » [14]. Ainsi, deux types de régimes de propriété communautaire sont qualifiés, selon que le droit d’aliéner est attribué ou non à la communauté : un régime de type « communal proprietorship », en l’absence de droit d’aliéner ; un régime dit «communal ownership » lorsque le droit d’aliénation participe lui aussi, avec les droits de gestion et d’exclusion, du niveau de choix collectif. La théorisation proposée par Schlager et Ostrom permet de mettre en évidence que les régimes de propriété qui sous-tendent ces CPR sont souvent des régimes de propriété communautaire dépourvus de droit d’aliénation, sans que cela implique un moindre investissement dans la préservation des ressources.
Propriété partagée et distribution des droits au-delà d’Ostrom
Ostrom et Schlager ont donc mis en lumière toute la puissance de la tradition du bundle of rights pour penser des situations juridiques concrètes, tout en redonnant de l’ampleur à cette conception de la propriété. Elles ont donné en effet corps à l’idée que la propriété ne peut se concevoir que comme relative et partagée entre plusieurs
acteurs. Elles autorisent à penser des formes de propriété partagée au sein même d’une communauté, mais aussi des formes de propriété où la distribution des droits s’opère entre l’autorité publique et une communauté ou encore entre communautés et individus ou bien encore entre État et individus. Il reste que le principe d’exclusion demeure présent dans la catégorisation proposée par Ostrom et Schlager, même s’il ne s’agit pas de la composante dominante du faisceau, ni même de l’attribut central pour appréhender la question du gouvernement des communs. Est-ce à dire qu’une définition même alternative de la propriété ne peut se soustraire à la prise en compte du critère d’exclusion ? De même, au-delà de la question de la gestion des ressources naturelles, quelle peut être la portée d’une conception de la propriété définie selon une distribution de droits ? L’observation de pratiques d’acteurs dans le domaine des logiciels libres ouvre des perspectives intéressantes à ce sujet. Les auteurs des logiciels libres sont indéniablement des précurseurs d’une nouvelle manière d’organiser la propriété, ici le droit d’auteurs, en substituant le principe d’inclusion à celui d’exclusion. En développant un contre-usage du copyright, ils ont inventé une
nouvelle manière de se saisir du droit de propriété afin de bannir l’exclusion. Ils ont ainsi développé un usage alternatif du droit de propriété intellectuelle selon lequel ce sont les principes de partage et d’inclusion qui sont organisés et protégés par le droit d’auteur selon des modalités bien précises de distribution de plusieurs droits préalablement définis. Depuis la première « licence publique générale », les licences inspirées du « libre » se sont multipliées au delà du monde des logiciels et des technologies de l’information. D’autres types de licences sont en cours de développement, reprenant des principes similaires de partage et d’inclusion, mais dont l’objectif est bien plus ambitieux puisqu’il s’agit d’éviter la captation par le système capitaliste de la valeur du travail produit
par et dans l’enceinte du commun. Nous sommes donc à un tournant. Une période s’ouvre où une
reconquête de la propriété devient possible, une reconquête qu’il convient de penser et construire avec le mouvement en marche, bien réel, des communs.
Notes
[1] À titre d’exemple, j’invite le lecteur à consulter la liste d’échange du réseau francophone autour des communs à l’initiative de l’association
VECAM.
[2] Pour plus de détail sur le projet physiocratique, voir par exemple l’article de Steiner P. (1987), « Le projet physiocratique : théorie de la
propriété et lien social », Revue économique, (38/6), p. 1111-1128.
[3] Demélas M.D, Vivier N. (dir.) (2003), Les propriétés collectives face aux attaques libérales (1750-1914), Europe occidentale et Amérique
latine, Rennes, Presses universitaires de Rennes.
[4] Hardin G. (1968), « The Tragedy of the Commons », Science, vol. 162, p. 1243-1248
[5] Voir notamment Alchian A.A, Demsetz H. (1973), « The Proprety right paradigm », Journal of Economic History, (33), March, p. 16-27.
[6] Pour plus de détails sur ce point, voir Coriat B. (2013), « Le retour des communs, Sources et origines d’un programme de recherche »,
Revue de la régulation, n° 14, décembre.
[7] Une et indivisible, ceci en France au nom des valeurs portées par la Révolution française et dont le code civil est la plupart de temps
interprété comme la conséquence directe. On lira, pour une vision bien plus contrastée, l’article de Florence Gauthier « Une révolution
paysanne ou les caractères originaux de l’histoire rurale de la Révolution française ».
[8] À souligner le formidable effort produit par l’école de Blomington de mise en réseau international et interdisciplinaire qui s’organise à
Les Possibles No. 05 — 5/5 — Reconquérir la propriété : un enjeu déterminant pour l’avenir des communs
partir du milieu des années 1980 autour de cette thématique. Voir l’article de Laerhoven et Ostrom (2007) traduit en Français à l’occasion de
la parution du numéro 14 de la Revue de la régulation : « Traditions et évolutions dans l’étude des communs » ; voir aussi The international
Journal of the Commons.
[9] Schlager E. et Ostrom E. (1992) « Property-Rights Regimes and Natural Resources : A Conceptual Analysis », Land Economics, 68/3 p.
249-262.
[10] Pour plus de détails sur la genèse de cette conception de la propriété et du réalisme juridique, le lecteur peut se référer à Orsi F. (2013) «
Elinor Ostrom et les faisceaux de droits : l’ouverture d’un nouvel espace pour penser la propriété commune », Revue de la régulation, n° 14,
décembre.
[11] Duguit L. (1912), Les transformations générales du droit privé depuis le Code Napoléon, Librairie Félix Alcan, Paris, 1912.
[12] Schlager and Ostrom, op. cit., p. 252, note 9.
[13] Schlager and Ostrom, op. cit., p. 252, note 9.
[14] Ostrom E. (2000), « Private and common property rights », in Encyclopedia of Law and Economics, vol. II, Civil Law and Economics, B.
Bouckaert and G. De Geest (ed.), Cheltenham, England : Edward Elgar, p. 332-379.
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