10 février 2018 / Ernest London
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La transition énergétique vers les « technologies vertes » dépend de l’exploitation de matériaux indispensables au fonctionnement des éoliennes, panneaux solaires ou autres batteries électriques. Dans « La guerre des métaux rares », le journaliste Guillaume Pitron révèle l’envers de cette « révolution ».
Alors que jusqu’à la Renaissance, les hommes n’ont exploité que sept métaux, c’est désormais la quasi-totalité des 86 éléments de la classification périodique de Mendeleïev qui est utilisée. Depuis les années 1970, leurs propriétés magnétiques exceptionnelles sont exploitées pour fabriquer des aimants ultrapuissants utilisés dans les moteurs électriques. Ils servent aussi dans les batteries qui les alimentent, les pots catalytiques, les ampoules basse consommation, les composants des appareils numériques… toutes les technologies vertes (green tech) qui utilisent donc une énergie sans charbon ni pétrole. Mais l’extraction et le raffinage de ces métaux sont extrêmement polluants.
L’industrialisation d’une voiture électrique consomme trois à quatre fois plus d’énergie que celle d’un véhicule conventionnel et sur l’ensemble d’un cycle de vie, leurs consommations énergétiques sont globalement proches. La fabrication d’une puce électronique de deux grammes implique le rejet de deux kilos de matériaux. Un courriel avec une pièce jointe consomme autant d’électricité qu’une ampoule basse consommation de forte puissance pendant une heure. « La prétendue marche heureuse vers l’âge de la dématérialisation n’est donc qu’une vaste tromperie, puisqu’elle génère, en réalité, un impact physique toujours plus considérable. »
Le recyclage des métaux rares à grande échelle représente actuellement un coût supérieur à leur valeur. Et malgré la convention de Bâle adoptée en 1989, qui contraint les industriels à traiter dans le pays où ils sont collectés les déchets électroniques, recélant souvent des métaux lourds et toxiques, beaucoup se retrouvent en Asie ou en Afrique. Les États-Unis, qui n’ont pas signé la convention, exportent 80 % de leurs déchets électroniques.
« La plus fantastique opération de “greenwashing” de l’histoire »
Le double dumping, social et environnemental, pratiqué par la Chine lui a permis de réduire considérablement ses prix de revient de production des métaux rares. Ce qui a poussé l’Occident à délocaliser sa pollution : le monde s’est organisé entre « ceux qui sont sales et ceux qui font semblant d’être propres ». « Dissimuler en Chine l’origine douteuse des métaux a permis de décerner aux technologies vertes et numériques un certificat de bonne réputation. C’est certainement la plus fantastique opération de greenwashing de l’histoire », écrit Guillaume Pitron.
Tous les grands industriels aujourd’hui appliquent les deux méthodes de gestion et de production instituées dès 1962 au sein du groupe japonais Toyota : just in time et zero stock. Cette logistique a débarrassé les entreprises de la « peur de manquer » sauf que les pays occidentaux n’ont pas appliqué aux métaux rares les règles élémentaires de toute stratégie d’indépendance énergétique : garantir des livraisons pérennes ou exploiter ses propres ressources.
- La fabrication d’une puce électronique de deux grammes implique le rejet de deux kilos de matériaux.
La Chine a su se jouer de cette insouciance du monde occidental pour l’approvisionnement en métaux rares. En produisant 44 % de l’indium consommé, 55 % du vanadium, 65 % du spath fluor et du graphite naturel, 71 % du germanium, 77 % de l’antimoine, 84 % du tungstène et 95 % des terres rares, elle est devenue une actrice incontournable de leur approvisionnement. Tout ce qui se décide à Pékin a désormais des effets sur le reste du monde. Entre 2006 et 2008, une brusque hausse de la consommation chinoise de titane, un minerai dont elle fournit 50 % de la production mondiale, a entraîné une multiplication du cours par dix. De plus, la Chine est accusée de mettre en œuvre une politique systématique de restriction des minerais rares.
Guillaume Pitron explique encore comment la Chine a favorisé la délocalisation des outils de productions des entreprises concurrentes en les attirant avec ses avantages compétitifs (main-d’œuvre bon marché, faible coût du capital grâce à une politique de dévaluation du yuan, taille du marché domestique qui permet d’importantes économies d’échelle). En développant des partenariats, les joint ventures, fondées sur le partage de savoir-faire technologique et donc de brevets, baptisé « innovation indigène », la Chine a absorbé des technologies étrangères.
Siphonner les emplois verts au détriment de l’Europe, du Japon et des États-Unis
Dans un deuxième temps, elle a mis en place un écosystème de création endogène dans l’objectif de « basculer de l’usine au laboratoire ». En 2015, elle était devenue le pays ayant déposé le plus de brevets au monde. Ne s’arrêtant pas en si bon chemin, la Chine ambitionne, selon Guillaume Pitron, de siphonner les emplois verts au détriment de l’Europe, du Japon et des États-Unis. Et ce modèle de développement sert de référence à d’autres pays émergents. L’Afrique du Sud est un important producteur de rhodium ; la Russie, de Palladium ; le Brésil, de niobium ; la Turquie, de borate, la République démocratique du Congo, de cobalt.
Le président états-unien Bill Clinton a forcé son administration à vendre l’industriel Magnequench, fournisseur du Pentagone et détenteur d’informations confidentielles sur les technologies balistiques des États-Unis. Le scandale du « Chinagate », que tout le monde a oublié aujourd’hui, révéla le probable financement de la campagne démocrate par la Chine, qui pourrait expliquer cette « contrepartie ». Quoi qu’il en soit, avec cet achat, les Chinois ont pu perfectionner leurs missiles longue portée, par exemple leurs roquettes antinavires Dongfeng-21D, surnommées les « tueurs de porte-avions » et piliers de leur politique de « déni d’accès » mise en œuvre ces dernières années en mer de Chine méridionale, qui recèle d’immenses quantités d’hydrocarbures et voit passer la moitié du commerce mondial de pétrole.
Par ailleurs, malgré la « buy American clause » introduite dans les contrats militaires depuis 1973 et obligeant les constructeurs de défense états-uniens à se fournir en composants uniquement aux États-Unis, ce sont des aimants (contenant des terres rares) usinés par un groupe chinois qui équipent l’avion de combat de cinquième génération F-35. Des rapports militaires s’inquiètent dès lors de la possibilité d’introduction de virus dans les composants électroniques, capables de perturber le matériel en cas de conflit.
La Chine, l’un des rares pays à être capable de soutenir sa transition énergétique et numérique
Une étude d’Olivier Vidal, chercheur au CNRS, chiffre les besoins exponentiels en métaux rares dans les années à venir. Or, les métaux rares n’existent pas en volume suffisant pour répondre longtemps à la demande. Guillaume Pitron dessine un scénario où le déni de la rareté de ces ressources, le manque d’infrastructures minières, le défi du taux de retour énergétique (c’est-à-dire le ratio entre l’énergie nécessaire à la production des métaux et celle que leur utilisation va générer, l’Eroi) pourraient bloquer la plupart des pays dans leur transition énergétique et numérique. La Chine cherche à étendre son monopole au contrôle planétaire de la production de métaux rares en organisant l’instabilité des cours pour empêcher le développement de mines concurrentes. Elle pourrait ainsi devenir l’un des rares pays à être capable de soutenir sa transition énergétique et numérique.
Guillaume Pitron fait un point sur l’immense potentiel en terres rares des mines françaises en sommeil depuis les années 1980 et souligne également l’incohérence des ONG écologistes qui dénoncent les conséquences, minières notamment, de la transition qu’elles promeuvent. Il se fait lui-même l’avocat d’une « mine responsable chez nous » qui vaudra toujours mieux qu’une « mine irresponsable ailleurs ».
Chaque fois qu’une ressource d’énergie a menacé de manquer, nous l’avons remplacée par une autre, sans jamais mener de réflexion sur nos modes de consommation : « Sans vouloir faire rimer sobriété avec décroissance, la meilleure énergie reste assurément celle que nous ne consommons pas. » La conclusion, que Guillaume Pitron emprunte à Albert Einstein, va en effet plus loin qu’un constat amer : « On ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré. »
- Le compte-rendu de lecture intégral a été initialement publié sur le blog Bibliothèque Farhenheit 451 et proposé à Reporterre par son auteur, Ernest London.
- La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique, de Guillaume Pitron, éditions Les Liens qui libèrent, janvier 2018, 296 p., 20 €.
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