29 mai 2018 / Des associations anti-nucléaires
Dans une lettre adressée à Nicolas Hulot, quatre associations dénoncent la sous-évaluation du coût du projet d’enfouissement des déchets radioactifs à Bure, dans la Meuse. Elles l’appellent à réévaluer d’urgence ce montant, avant le débat public sur les déchets radioactifs prévu à l’automne.
Le Réseau « Sortir du nucléaire », France Nature Environnement, BureStop55, Meuse Nature Environnement et Mirabel-Lorraine Nature Environnement s’opposent au projet d’enfouissement des déchets radioactifs « Cigéo » à Bure (Meuse).
Monsieur le Ministre,
En mars 2016, nos associations ont saisi le Conseil d’État au sujet de l’arrêté ministériel adopté par Ségolène Royal le 15 janvier 2016, arrêté qui fixait « le coût objectif afférent à la mise en œuvre des solutions de gestion à long terme des déchets radioactifs de haute activité et de moyenne activité à vie longue » à 25 milliards d’euros, alors que l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) avait précédemment évalué ce coût à 34,5 milliards d’euros.
Le 11 avril 2018, le Conseil d’État a tranché et rejeté notre recours. Nous en prenons acte, sans pour autant nous satisfaire du raisonnement appliqué. Nous vous interpellons aujourd’hui car cette décision de justice ne saurait clore le débat sur cette question brûlante.
Nous restons d’abord interrogatifs sur le processus qui a mené l’Andra, après avoir élaboré sa propre évaluation détaillée — jugée elle-même optimiste par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) —, à proposer ensuite à l’État de trancher grossièrement sur le coût de Cigéo pour le fixer dans une fourchette inférieure. Cette méconnaissance délibérée, tant par l’Andra que par l’État, des observations du gendarme du nucléaire, ne peut que nous interpeller et nous laisse interrogatifs quant au respect de ces observations tout au long du processus.
Par ailleurs, nous continuons d’interroger la légitimité du compromis effectué par votre prédécesseure entre vérité des coûts et allègement des charges pour EDF. Il en résulte un décalage important entre les coûts estimés et le coût officiel, qui, si aucun rattrapage n’est effectué, ne sera pas sans conséquence. Soit l’Andra devra effectuer certaines impasses pour rester dans le budget prescrit, au détriment de ses missions notamment de sûreté du site, soit il sera nécessaire de solliciter ultérieurement les contribuables. Au nom de la protection des intérêts à court terme d’une entreprise privée, l’État a effectué ici un compromis qui lèse les générations futures et ne saurait être légitimé.
Au-delà de son caractère illégitime, nous nous interrogeons sur la légalité de ce choix au regard du droit européen. Un tel cadeau destiné à alléger les provisions des exploitants pourrait valoir à la France une condamnation pour aide d’État.
Enfin, puisque le Conseil d’État lui-même a rappelé que le coût du projet avait vocation à être réévalué régulièrement, nous vous appelons à procéder à cette réévaluation en urgence. Il en va de la sûreté des populations, des intérêts des générations futures, mais également de l’honnêteté du gouvernement, notamment dans le contexte du « débat public » censé se tenir à l’automne sur Cigéo. Nos organisations s’interrogent d’ores et déjà sur la finalité d’une telle procédure, concernant un projet qui n’a pas vocation à être remis en question. Si, de plus, une information aussi cruciale que le coût actualisé du projet fait toujours défaut dans la discussion (comme l’avait déjà déploré la commission particulière du débat public — CPDP à l’occasion du débat public de 2013), ce processus apparaîtra définitivement comme une pure opération de communication dépourvue de toute crédibilité.
Le gouvernement prépare la voie pour le pire des scénarios possibles
Nous rappelons qu’une telle réévaluation s’avère non seulement légitime, mais incontournable au vu des éléments nouveaux survenus depuis début 2016.
- En effet, les avis de l’ASN et de l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) sur le dossier d’option de sûreté mettent en exergue des failles de sûreté persistantes et soulignent la nécessité pour l’Andra de poursuivre ses recherches sur de nombreux aspects. La question des déchets bitumineux, à elle seule, constitue une incertitude majeure. Elle nécessitera une expertise internationale dont le coût mériterait d’être chiffré ; mais que dire des nombreux autres points sur lesquels l’Andra n’a pas apporté de réponse convaincante, voire pas de réponse du tout (surveillance du site, garantie sur la récupérabilité des colis…) et qui pourraient exiger une révision de la conception de Cigéo ? La décision de décaler d’un an le dépôt de la demande d’autorisation de création est révélatrice des difficultés que rencontre l’Andra, qui se traduiront immanquablement par un renchérissement des coûts de recherche.
- Par ailleurs, vous ne pouvez ignorer les critiques structurelles formulées par la Commission nationale d’évaluation sur le chiffrage de Cigéo. Dans son dernier rapport, celle-ci rappelle que « des éléments critiques subsistent dans l’estimation des dépenses liées à ce projet industriel exceptionnel ». Tout en mettant en garde sur le choix de taux d’actualisation trop optimistes, elle pointe une logique « à court terme », où « l’évolution dynamique du projet reste celle prévue en 2014, avec un certain détail sur la phase industrielle pilote et très peu sur les tranches ultérieures, la fermeture progressive et la jouvence des installations » ; elle alerte également sur le fait que « tous les aspects incertains, définis comme des opportunités et des risques qui peuvent affecter positivement ou négativement le coût et le financement du projet, de même que les incertitudes d’estimation, sont totalement absents ». Elle souligne de plus que « le côté évolutif du coût, pourtant prévu dans l’arrêté, reste difficile à appréhender ». Enfin, elle alerte sur la nécessité de prendre en compte, dans le chiffrage, les dimensions relevant de l’ingénierie contractuelle et les risques de décalage entre le prix annoncé et le coût « tel que réalisé » de l’infrastructure.
- Le laboratoire de recherche souterrain de Meuse/Haute-Marne de l’Andra.
Avec des incertitudes aussi lourdes sur les différentes étapes du chantier, il n’est pas acceptable que l’État s’en tienne à une vision de court terme en ne retenant que ce qui peut facilement être chiffré. Nous ne partageons pas le raisonnement qui consiste à dire qu’une erreur de chiffrage ne saurait être reprochée à l’État au regard du flou des étapes postérieures à la phase pilote. Au contraire, ce flou aurait dû pousser à adopter une attitude encore plus prudente.
Nos associations, vous le savez, sont opposées à Cigéo. Nous ne reviendrons pas ici sur les raisons de notre opposition, que nous avons déjà largement détaillées. Mais en tout état de cause, nous souhaitons souligner qu’en soutenant coûte que coûte ce projet dangereux et imposé tout en maintenant un chiffrage mensonger de ses coûts, le gouvernement prépare la voie pour le pire des scénarios possibles.
Que se passera-t-il lorsqu’il deviendra évident que les provisions finalement constituées ne pourront pas couvrir le coût réel du projet ? Vers qui se retourneront les générations futures si ces provisions insuffisantes sont quasiment toutes englouties par la construction de la phase pilote, si bien qu’il n’existera plus de ressources financières pour continuer Cigéo voire, pire, pour mener une opération de retrait des déchets et élaborer un plan B si un accident survient ?
Par ailleurs, ne convient-il pas de toute urgence, de réorienter les budgets vers la recherche concernant d’autres alternatives ou options de stockage ?
C’est pourquoi nous réitérons notre revendication d’abandon de Cigéo et attendons dans tous les cas, par devoir d’honnêteté envers vos concitoyens, de vous que vous procédiez en urgence à une actualisation de son coût officiel.
Dans l’attente de votre réponse, veuillez recevoir, M. le Ministre, nos salutations respectueuses.
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