Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine
Rebecca Stead – 23 mai 2018
Des manifestants palestiniens se sont regroupés lors d’une agression des forces de sécurité israéliennes contre une manifestation dans un village de tentes, où les Palestiniens exigent le droit au retour dans leur patrie à l’occasion du 70e anniversaire de la « Nakba » et contre le déplacement de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem, à Khan Younis, à la limite entre Israël et Gaza, dans le sud de la bande de Gaza. (Photo : Ashraf Amra)
Au cours des manifestations de la Grande Marche du Retour qui ont commencé le 30 mars, 115 Palestiniens ont été tués et plus de 13 000 ont été blessés. Beaucoup ont été abattus par des balles réelles tirées depuis les positions israéliennes à la frontière théorique entre Gaza et Israël. Des gaz lacrymogènes ont été répandus sur les manifestants par des drones sans pilote qui les survolaient. Les balles à ailettes ont pulvérisé les membres de vingtaines de Palestiniens.
Il s’agissait de réprimer les manifestants par un contrôle à distance. C’était froid, clinique et calculé, avec des résultats dévastateurs. Israël est l’un des principaux développeurs d’armes et de munitions de haute technologie dans le monde, et la Grande Marche du Retour lui a fourni une occasion idéale d’expérimenter ses produits les plus récents. Avec une population de cobayes de près de deux millions de Palestiniens maintenus sous le siège de Gaza, Israël peut avancer l’argument que sa technologie et son matériel de guerre ont fait leurs preuves sur le champ de bataille, dans un monde d’entreprises indifférent à l’éthique.
Il a été accordé une grande attention à l’utilisation de drones par Israël pour lâcher des gaz lacrymogènes sur les manifestants palestiniens et les journalistes qui couvraient les manifestations. Les drones ont été vus pour la première fois en mars, lors d’un reportage de la télévision libanaise Al-Mayadeen TV, qui semblait montrer de petits appareils aériens larguant des bombes lacrymogènes sur quiconque se trouvait à proximité de la frontière Gaza-Israël. The Times d’Israël a rapporté qu’un « porte-parole des Forces de défense d’Israël (FDI) a déclaré que l’UAV (véhicule aérien sans pilote) n’était pas utilisé par l’armée mais par la police des frontières ». La police des frontières a refusé de commenter.
Enquêtant sur une telle utilisation de drones par Israël, Middle East Eye (MEE) a noté qu’ « il semble y avoir trois types de drones à être utilisés pour disséminer les gaz ». Le premier est connu sous le nom de « système de drone de contrôle anti-émeute Cyclone » et il est développé par la société israélienne ISPRA. Les deux autres types sont censés avoir servi pour la première fois contre les manifestants de la Grande Marche, MEE expliquant que l’un est « un drone qui déverse les gaz directement depuis l’appareil, comme un aérosol » et l’autre, « un drone de type hélicoptère qui transporte des grenades explosives en caoutchouc avec des couvercles en métal qui dispersent le gaz pendant qu’elles tombent ».
Une balle à ailettes est un type de balle dont la vitesse est supérieure à celle du son et qui provoque de graves dommages dans la chaire et les os quand elle frappe un corps humain. Elle est utilisée par les tireurs embusqués de l’armée israélienne contre les manifestants non armés aux limites de Gaza (Twitter).
Pourtant, les drones ne sont pas toute l’histoire. Non seulement Israël a tiré avec des munitions de guerre sur des foules de manifestants, mais des rapports ressurgissent sur son utilisation de « balles à ailettes ». Comme l’indique un article d’Al Jazeera en début de ce mois.
« Des médecins sur le terrain affirment que les forces israéliennes tirent sur les manifestants avec une nouvelle sorte de balle – encore jamais vue – connue sous le nom de « balle à ailettes » (butterfly bullet), qui explose à l’impact, pulvérisant les tissus, les artères et les os, tout en causant de graves blessures internes ».
On pense que ce sont de ces « balles à ailettes » qui ont tué les journalistes palestiniens Yaser Murtaja et Ahmed Abu-Hussein, abattus alors qu’ils effectuaient un reportage à Gaza et qu’ils s’étaient clairement identifiés comme journalistes. Ces deux Palestiniens ont été touchés à l’abdomen ce qui, selon le porte-parole du ministère de la Santé à Gaza, Ashraf Al-Qedra, a entraîné que « tous leurs organes internes ont été totalement détruits, pulvérisés ». Et d’ajouter que ces balles sont les plus meurtrières que l’armée israélienne ait jamais utilisées.
Israël a utilisé ces nouvelles balles de façon intensive. Selon un rapport de Médecins sans frontières (MSF), « la moitié des plus de 500 patients qui ont été admis dans nos centres médicaux ont des blessures là où la balle a littéralement détruit les tissus après avoir pulvérisé l’os ». Le rapport note aussi que le nombre de patients traités dans les centres médicaux de MSF rien que dans les trois premières semaines de la Grande Marche du Retour « a été plus élevé que le nombre de ceux que nous avons traités durant toute l’année 2014, quand l’opération militaire Bordure protectrice a été lancée par Israël sur la bande de Gaza ».
Les balles expansives à ailettes « Buzz Saw ».
Qu’Israël utilise sa toute dernière technologie contre les Palestiniens n’a rien de nouveau. Écrivant en 2006 à la suite du « désengagement » d’Israël de Gaza, au cours duquel Israël a retiré quelque 8000 colons illégaux de leurs positions dans la Bande, Darryl Li, de l’Université de Chicago, comparait Gaza à un « laboratoire ». Selon Li, Gaza est « un espace où Israël teste et affine différentes techniques de gestion, expérimentant continuellement dans sa recherche d’un équilibre optimal entre contrôle maximal du territoire, et responsabilité minimale de sa population non juive ». Il cite Amos Yadlin, alors chef du renseignement militaire israélien : « Notre vision du contrôle aérien se concentre sur la notion de contrôle. Nous examinons comment on contrôle une ville ou un territoire depuis les airs quand il n’est plus légitime de tenir ou occuper ce territoire au sol ».
Il est clair que l’utilisation par Israël de nouvelles technologies afin de réprimer la Grande Marche du Retour ne constitue donc qu’une partie de sa recherche permanente d’exercer un contrôle sur Gaza et sa population assiégée. Les drones fournissent une méthode séparée de contrôle qui n’exige qu’un risque minimal pour les propres forces d’Israël et crée un espace qui lui permet d’argumenter que « ses mains sont propres » quand il est question de relations publiques internationales. Simultanément, l’effet dévastateur de la « balle à ailettes » nouvellement introduite représente un nouveau niveau du mépris d’Israël pour la vie palestinienne, alors qu’il teste ses nouvelles technologies sur une population captive pour laquelle il cherche à assumer une « responsabilité minimale ».
Les manifestations de la Grande Marche du Retour ont servi de laboratoire à Israël pour tester ses dernières technologies en situation réelle. Cela lui fournit les preuves concrètes de l’efficacité de ses technologies, preuves qui lui permettent ensuite d’avoir du poids dans les transactions commerciales internationales en matière d’armement. ISPRA, la société qui fabrique le « drone Cyclone » mentionné ci-dessus, prétend sur son site qu’elle offre « les solutions intelligentes pour un contrôle des foules, basées sur un savoir-faire technique avec une expérience pratique sur le terrain ». En tant que « fournisseur mondial de premier plan des forces de police et de défense dans le monde entier, incluant les USA, le Canada, l’Europe, l’Asie, l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud, et l’Afrique », la société ISPRA, avec d’autres comme elle, tirera profit sans aucun doute, en termes de finances et de réputation, de la façon « efficace » dont ses produits ont été utilisés contre les manifestants palestiniens dans la Grande Marche du Retour. Tant que les forces internationales de défense et de police à travers le monde continueront d’acquérir de tels produits, les Palestiniens, eux, continueront de le payer de leur vie.
Rebecca Stead
Étudiante en maîtrise de lettres à l’Université SOAS de Londres et aux Études du Moyen-Orient avec l’arabe, Stead se concentre sur l’histoire, la culture et la politique en particulier d’Israël-Palestine et plus largement du Levant. Elle a voyagé dans la région et étudié l’arabe à Jérusalem et Amman, et elle travaille à la pige pour un certain nombre de revues et plate-formes de blogs.
Source : The Middle East Monitor
Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine
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