http://www.hns-info.net/spip.php?article18839
mis en ligne jeudi 11 juin 2009 par Louise Renard
De passage à Paris et à Montpellier vendredi 5 juin, le collectif des 39 contre la « nuit sécuritaire » ne cesse depuis décembre dernier de battre le pavé pour inciter à la résistance et au refus de procédures qui transforment les lieux psychiatriques en prison pour malades dangereux et pour réaffirmer leur volonté de créer des lieux d’accueil de la folie respectueux et humains.
La naissance du collectif remonte à décembre 2008. A cette période, le président de la République se déplaçait dans une structure psychiatrique, à Antony, pour annoncer des mesures qui dessinaient l’avenir de la psychiatrie. Un avenir peu différent de celui du reste de la société… Fini les valeurs de soin et d’accueil, la bienveillance vis-à-vis des patients, vive la volonté de sécuriser la société par rapport à des patients perçus comme dangereux, quand bien même ils seraient avant tout des victimes de cette société. Un petit nombre de psychiatres a immédiatement réagi en lançant l’appel des 39 contre la « nuit sécuritaire », tandis que d’autres rédigeaient un texte intitulé « Non à la politique de la peur ».
Pour ce qui est du collectif des 39, il dénonce la volonté de multiplier les chambres d’isolement, celle de contraindre des patients à porter des bracelets de géolocalisation – mesures annoncées le 2 décembre et qui faisaient la substance du discours présidentiel – mais aussi les obligations de soin, les diagnostics de dangerosité, les fichiers informatiques détaillés sur les patients – fichiers qui ne servent à rien, puisque seul le travail d’équipe peut permettre de soigner et non la transmission des données d’un fichage. Conscients du tournant sécuritaire général qui contraint tout un chacun à obéir ou à résister, psychiatres, professionnels du soin, du travail social, autour de ce collectif, continuent d’affirmer qu’ils « refusent de servir de caution à cette dérive idéologique de notre société » et de devenir des « gardiens de fous ». L’espace psychiatrique ne doit pas devenir un lieu d’exclusion sans retour, faute de pouvoir continuer à faire des allers-retour et à vivre dans une société qui les considère comme indésirables et dangereux.
Résistance au côté des Résistants
Au cours de leur forum itinérant partout en France, dans les hôpitaux, les universités ou ailleurs, ils intervenaient simultanément à Paris et Montpellier vendredi dernier. Surtout, fait emblématique de ce mouvement de résistance, l’invitation du psychiatre Michaël Guyader par l’association « Citoyens résistants d’hier et d’aujourd’hui » au plateau des Glières, haut lieu de la Résistance, lors d’un rassemblement le dimanche 17 mai 2009, où 4000 personnes étaient réunies pour rappeller les valeurs d’égalité, de solidarité, de liberté et de fraternité composant le programme du Conseil National de la Résistance signé en mars 1944. Des paroles de résistance ont été prononcées par d’anciens résistants, Raymond Aubrac et Stéphane Hessel et par de plus jeunes impliqués dans des actions de résistance et de désobéissance Alain Refalo, instituteur, et Michaël Guyader, psychiatre. [1]
Voici des extraits de la déclaration de Michaël Guyader ce jour-là :
« Résister, une ardente obligation en psychiatrie aujourd’hui. Je parle ici en mon nom certes mais aussi au nom de mes 38 amis de La Nuit Sécuritaire.
Merci à Monsieur Magnin et aux membres de l’association « Citoyens résistants d’hier et d’aujourd’hui » d’avoir pensé que ma lettre au président de la République [rédigée et adressée peu après son discours à l’hôpital d’Antony] justifiait qu’ils m’invitassent à leur rencontre de cette année, lettre qui disait la rage et la tristesse de voir mon métier et les patients reçus en psychiatrie mis au service d’une détestable politique sécuritaire qui désigne à la vindicte les malades mentaux comme devant être plus sérieusement surveillés du fait de leur dangerosité potentielle. Veiller à la sécurité psychique des patients ne peut se faire que dans la confiance et la dérive sécuritaire détruit ce lien précieux entre soignants et soignés. »
Evoquant le rôle du Dr Lucien Bonnafé dans l’histoire de la psychiatrie :
« Ce psychiatre militant fut un des inventeurs de la psychiatrie « désaliéniste », celle qui a tenté de travailler à ce que les patients, autrefois dénommés aliénés, fussent traités avec plus d’humanité, moins systématiquement voués à la privation de liberté et aux traitements parfois scandaleusement violents. Il avait été pendant la guerre chef de service à l’hôpital de Saint-Alban, où il accueillit Tristan Tzara et Paul Eluard pour leur offrir refuge, soignant le jour, résistant la nuit, il participa à la terrible bataille du Mont Mouchet et fut le responsable de la santé pour la zone sud avant de prendre à la libération des fonctions au ministère qui lui permirent de faire avancer le projet d’une psychiatrie moins marquée de la domination de l’homme par son semblable, projet qu’il s’efforça d’inscrire dans sa pratique jusqu’en 1977, date de sa retraite. (…)
Or ce 2 décembre 2008 à l’hôpital Erasme d’Antony [2], M. Sarkozy a réellement commis une mauvaise action dont les répercussions pourraient être incalculables sur ceux dont la souffrance psychique accable la vie sur un mode tellement inimaginable qu’elle a fait d’eux l’incarnation de l’étrangeté (…).
Non, les patients ne sont pas plus dangereux que vous et moi, probablement moins. L’on pourrait rappeler ce que disent la plupart des rapports sur le sujet : sur les un peu plus de cinquante mille crimes et délits commis chaque année dans ce pays, deux cents ont justifié une mesure d’irresponsabilité pénale ; en revanche les patients sont onze fois plus souvent que la population générale les victimes de crimes et cent quarante fois plus pour ce qui concerne les vols.
Alors, quand le chef de l’Etat reprend un fait divers, certes dramatique, un patient en congé d’essai ayant assassiné non loin d’ici un jeune homme dans la rue, pour dans la précipitation annoncer sans la moindre réflexion des mesures qui vont toutes dans le sens de l’aggravation des conditions de l’hospitalisation et particulièrement de la privation de liberté, il me parait une ardente obligation de dire qu’il déshonore sa fonction à endosser ainsi les oripeaux de ceux dont l’écologie viserait à favoriser les forts, à considérer que de soutenir les faibles est une perte de temps que la société ne peut se permettre.
Je tiens de Lucien Bonnafé qu’à la demande d’un de ses collègues, pendant la guerre de 39-45, de voir les rations alimentaires augmenter pour les patients de l’asile il fut répondu « choisissez ceux qui valent la peine ».
Symboliquement, le discours du 2 décembre est d’autant plus malfaisant qu’il concerne une population qui fut la première victime de la barbarie nazie et qu’en France, l’effet du rationnement sur ces corps affaiblis a été terrible, quarante mille d’entre eux sont en effet morts de froid, de faim et de maladie pendant les cinq ans de la guerre. On connaît Camille Claudel et depuis quelque temps Séraphine de Senlis, mais combien savent que Séraphine, par exemple, mangeait de l’herbe pour essayer de survivre, tant les rations alimentaires étaient insuffisantes ? (…) Une attention plus grande portée au peuple des asiles, une détermination plus grande à essayer de conjurer le pire eussent été suffisantes pour que ce peuple à la triste figure ne paye pas un pareil tribut à la déréliction sociale. (…)
Le discours de Nicolas Sarkozy « vient prendre à rebours cinquante ans d’histoire de la psychiatrie où nos aînés, forts de l’expérience de la guerre et en réaction à l’horreur des camps, avaient pris le parti de promouvoir une psychiatrie dite désaliéniste qui visait à faire sortir les patients des asiles et à les soigner au plus près de chez eux. Il n’est pas étonnant qu’un homme attaquant aussi fort les fondements républicains de l’entraide mutuelle – vous avez ici souligné qu’il détruisait le pacte social dont le Conseil National de la Résistance était porteur – s’en prenne au titre de leur dangerosité aux plus faibles parmi les plus faibles.
Lire ce terrible discours évoquait pour moi « les obscurités à carapace de punaises, la monomanie terrible de l’orgueil, l’inoculation des stupeurs profondes… les filières sanglantes par lesquelles on fait passer la logique aux abois » pour reprendre quelques mots de Lautréamont.
Le 2 décembre 2008, Nicolas Sarkozy, dont on aurait pu attendre que la fonction le transporte, lui fasse atteindre au sublime qu’elle mérite, s’est vautré dans le pire du discours attendu, des décisions vulgaires, des accusations à courte vue, s’appuyant pour justifier sa politique sur les mêmes 72 % que ceux qui souhaitaient le maintien de la peine de mort en 1981. Il nous oblige à constater que n’est pas Victor Hugo ni Robert Badinder qui veut et que de convoquer pour les instrumentaliser les grandes figures de l’histoire ne fait pas de vous un grand homme.
Dans cette lutte constante pour œuvrer à la déstigmatisation de ceux qui souffrent psychiquement et que l’on n’ose plus appeler les fous, un honnête homme eut suffit, c’est une fois de plus manqué, l’ardente obligation de résister contre ce que le discours dominant a de pire reste une impérieuse nécessité. (…)
Continuons donc, nous avons du travail devant l’absurdité bornée du discours dominant, nous avons à inventer le monde de demain où il ne serait pas interdit de crier « vive l’espérance ! » Continuons donc. »
Michaël Guyader, 17 mai 2009
Notes
[1] Lien vers la vidéo de l’intervention : http://www.fsd74.org/spip.php?artic...
[2] Plus d’infos sur http://www.collectifpsychiatrie.fr/
Commentaires