Le Ministère du Commerce extérieur vient de publier un document de quatre pages
pour expliquer la position française lors du Conseil européen des Ministres du
Commerce, le 14 juin, à propos de la négociation avec les USA d’un accord de
partenariat transatlantique. Ce document appelle les mises au point qui suivent.
a) Le texte nous apprend que Mme Bricq, Ministre du Commerce extérieur « a défendu les positions de la France ».
On aurait aimé les connaître, ces positions. On aurait aimé qu’elles soient présentées à la représentation nationale et qu’un débat se tienne afin que les représentants du peuple puissent donner leur point de vue sur la position de la France. Il n’en a rien été. On ignore même si la question fut débattue en Conseil des ministres. La position de la France a bien été élaborée quelque part (sans doute au Cabinet du Ministre et plus certainement dans la citadelle ultra-libérale de Bercy). Mais un ministre peut-il engager la France dans une
négociation européenne sans que le Conseil des Ministres en ait délibéré ? On retiendra que sur un dossier qui contient des choix de société majeurs, aucun débat public n’a
précédé l’adoption des positions de la France, en ce compris sur l’opportunité de participer ou pas à une telle négociation.
b) Le texte affirme que le compromis intervenu préserve les « valeurs de l’Union européenne ».
Mais qui peut encore prendre au sérieux une telle affirmation alors que chaque initiative provenant soit de la Commission européenne, soit du Conseil européen des ministres est une agression contre ces valeurs ? A moins qu’on entende par « valeurs » le primat de la concurrence libre et non faussée et qu’on érige en libertés fondamentales la liberté de circulation et d’établissement des biens, des capitaux, des services et, facultativement selon qu’elles soient blanches ou pas, des personnes.
c) « La France a obtenu l’exclusion de trois secteurs essentiels des négociations » annonce le document.
Ce triomphalisme cocardier est d’autant plus mal venu que chacun sait que, seule, la France n’aurait rien obtenu du tout dès l’instant où elle acceptait le principe des négociations. Si des matières ont été écartées, c’est qu’une majorité s’est dessinée pour le vouloir.
d) On sait ce qu’il faut retenir de « l’exclusion » provisoire des services audiovisuels de la négociation : la Commission, négociateur unique, peut à tout instant de cette négociation, au travers du Comité 207 (l’ancien 133), qui se réunit à huis-clos, demander aux fonctionnaires qui représentent les Etats au sein de ce comité de lever cette
exclusion. Quant au respect de la diversité culturelle et linguistique,
l’Inde, etc) n’autorise la confiance et l’optimisme. La mâle affirmation du maintien du veto français à l’inclusion des services audiovisuels dans la négociation n’impressionnera que ceux qui font imperturbablement confiance aux menteurs.
e) Le mandat garantirait un « haut niveau de protection de l’environnement, des travailleurs et des consommateurs, préservant l’acquis réglementaire des Etats membres ». C’est aussi crédible que les promesses électorales de François Hollande sur la
renégociation du pacte budgétaire Merkel-Sarkozy.
L’UE a porté plainte à l’OMC contre une province du Canada qui privilégie les entreprises qui protègent l’environnement. L’UE est à l’origine du démantèlement du droit du travail et
de la concurrence de tous contre tous en son sein. L’UE ne cesse de faire pression sur les Etats pour faire accepter les OGM et autres saloperies dangereuses pour la santé. On prend les gens pour des imbéciles quand on ose ensuite demander de donner crédit à ce « haut niveau de protection » qui serait garanti, qu’il y ait sur les matières en question fondements juridiques nationaux ou européens ou qu’il n’y en ait pas.
f) Le document se réjouit du caractère « ambitieux » du mandat pour l’ouverture des marchés publics. On se demande quel degré de naïveté affecte ceux qui nous gouvernent pour croire un seul instant que les USA vont renoncer à leur « Buy American Act » qui impose l'achat de biens produits sur le territoire américain pour les achats directs effectués par le gouvernement des USA ; une disposition qui s’applique à des tiers qui effectuent des achats pour des projets utilisant des fonds fédéraux. On est effrayé à l’idée que ce gouvernement PS-EELV n’a manifestement pas évalué l’impact national, régional et local de l’ouverture, en France, des marchés publics aux entreprises américaines.
g) L’affirmation péremptoire selon laquelle « les indications géographiques seront reconnues et protégées » n’impressionnera que ceux qui ont déjà oublié les propositions de la Commission européenne lors de la dernière négociation sur l’organisation commune du marché du vin (OCM) contre lesquelles il a fallu mener, en 2007, une bataille acharnée.
h) On est effaré lorsqu’on lit que « la haute qualité des services publics devra être préservée. » Mais sur quelle planète vivent les gens qui écrivent de telles inepties ? Alors que la mise en œuvre de l’AGCS pousse à la privatisation des activités de service, invoquer cet accord de l’OMC, c’est croire béatement que tout le monde ignore sa nocivité. Au moment où la Commission européenne exige plus fortement que jamais la privatisation des services publics (que ce soit dans le cadre de la troïka ou en vertu de l’application du Pacte budgétaire), comment ose-t-on faire croire aux gens que cette même Commission européenne va les défendre face aux USA ?
i) Le document du Ministère du Commerce affirme que « la décision finale sur l’inclusion d’un mécanisme de règlement des différends est renvoyée ultérieurement et sera prise après consultation des Etats membres. » Rien de semblable ne se trouve inscrit à l’article 45 du mandat conféré à la Commission pour la négociation. Cet article est rédigé comme suit :
« L’Accord contiendra un mécanisme adéquat de résolution des différends qui assurera le respect mutuel des règles par les Parties. » On se trouve une fois de plus devant une belle illustration de l’usage du mensonge comme méthode de gouvernement.
j) La protection des données personnelles n’est pas mentionnée dans le mandat, mais le Ministère du Commerce n’hésite pas à garantir qu’il ne sera pas touché au niveau de protection existant.
k) On tentera de garder son sérieux quand on lira que l’accord en négociation « se fixe comme objectif la ratification et la mise en œuvre effective de normes sociales et environnementales ». Au moment où chacun peut observer par lui-même le démantèlement, sur proposition de la Commission européenne, des normes sociales en vigueur, au moment où on apprend que l’UE porte plainte contre une autorité publique qui favorise la protection de l’environnement, comment prendre une telle affirmation au sérieux ?
l) le texte du Ministère du Commerce se termine par une dernière contre-vérité : « le mandat de négociations sera transmis au Parlement ». Il est spécifiquement indiqué que le texte du mandat est destiné à une circulation restreinte et qu’il est confidentiel. Le Parlement européen ne le recevra pas. Si le Gouvernement français le communique à l’Assemblée nationale et au Sénat, il enfreindra les règles de sécurité du Conseil européen des ministres. Si néanmoins, ce dont on se réjouirait, il procédait à cette diffusion aux élus de la Nation, il est faux d’affirmer, comme le fait le Ministère du Commerce, que
« les Parlementaires pourront exercer leur devoir de vigilance durant le déroulement des négociations », car rien n’est prévu dans le mandat qui oblige la Commission européenne à faire rapport sur l’état d’avancement des négociations au Parlement européen et encore moins aux parlements nationaux. Ce n’est qu’à l’issue des négociations que le Parlement européen et les parlements nationaux seront saisis de l’accord intervenu et qu’ils auront à l’approuver ou à le rejeter.
On s’en rend compte, une très mauvaise cause est défendue de très mauvaise manière. Jamais la France n’aurait du accepter le principe même de ces négociations. Elle n’aurait pas été la seule. Car il est fini le temps où les illusions du libre-échange intégral emportaient l’adhésion de tous. La bataille des idées change de camp. Les opprimés du capitalisme se lèvent de plus en plus nombreux pour dénoncer un système qui exploite les humains et la planète.
Raoul Marc Jennar
28 juin 2013
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