Texte inédit pour le site de Ballast – Publié le 11 novembre 2014 par Alain Ruscio
http://www.anti-k.org/2017/01/01/tuer-pour-civiliser-au-coeur-du-colonialisme/
« Halte à la repentance ! » piaffent-ils en chœur de leurs perchoirs. « Les Français » n’auraient qu’une passion : « la haine de soi » pour mieux expier un passé dont ils ne sont plus fiers. Le siècle dernier fut celui des luttes d’indépendance ; l’affaire, puisqu’entendue, serait donc à classer — à l’heure où Eric Zemmour, jurant à qui veut l’entendre de l’évidence du « rôle positif » de la colonisation, caracole sur les étals des librairies ; à l’heure où Alain Finkielkraut, assurant que les autorités hexagonales ne firent « que du bien aux Africains », est sacré à l’Académie ; à l’heure où l’auteur de Vive l’Algérie française !, nous nommons Robert Ménard, a transformé la ville de Béziers en sujet d’actualité, les « vieilles lunes » n’ont-elles pas encore certaines choses à dire ? L’historien Alain Ruscio remonte le temps pour nous faire entendre ces voix qui, de gauche à droite, appelèrent à la guerre par souci, cela va de soi, de « pacification ». ☰ Par Alain Ruscio
« Quelle drôle façon de civiliser : pour apprendre
aux gens à bien vivre, on commence par les tuer. »
Hô Chi Minh, 1925
Commençons en 1580. Un penseur français, des plus fameux, écrit ces lignes, devenues célèbres, que les plus intransigeants anticolonialistes du XXe siècle n’auraient sans nul doute pas désavouées : « Tant de villes rasées, tant de nations exterminées, tant de millions de peuples passés au fil de l’épée, et la plus riche et belle partie du monde bouleversée pour la négociation des perles et du poivre ! […] Jamais l’ambition, jamais les inimitiés publiques ne poussèrent les hommes les uns contre les autres à si horribles hostilités et calamités si misérables. » On aura reconnu Michel de Montaigne, l’auteur des Essais. Combien, depuis cette époque et ces lignes, à l’ombre des drapeaux des puissances colonisatrices, d’autres « villes rasées », de « nations exterminées », de « peuples passés au fil de l’épée » ? On pourrait se contenter de cette question, sans crainte d’être contredit, et entrer dans les détails et les descriptions, pour le moins horrible, des fusillades, des razzias, des décapitations, des corvées de bois, des tortures, des viols, de l’utilisation de l’aviation, des armes chimiques, du napalm… On pourrait citer mille auteurs qui protestèrent, de Victor Hugo (« L’armée faite féroce par l’Algérie ») à Anatole France, en passant par Albert Londres, André Gide, Malraux, Aragon, Sartre ou encore François Mauriac… On pourrait, certes. Mais nous resterions dans le comment ; nous devons plutôt tenter de comprendre le pourquoi.
« Cette matrice a un nom : l’idéologie coloniale. La violence n’est pas fortuite, mais nécessaire. Obligatoire. »
Les violences coloniales sont le fruit de la rencontre conflictuelle entre, de la part des hommes « blancs », un esprit de conquête et de suffisance, porté par un racisme, alternativement agressif ou paternaliste (mais qui se voulait en tout état de cause constatation de l’évidence), et, de la part des hommes « de couleur », un refus de cette conquête, puis une résistance, basés sur un sentiment national ou, tout simplement, sur l’instinct de survie. Prenons, pour asseoir cette proposition, la première expédition coloniale de l’ère moderne : la campagne d’Égypte, lancée en mai 1798 et conduite par le général Bonaparte.