https://www.politis.fr/articles/2017/12/on-sy-met-et-on-se-change-la-vie-38111/
Récemment, la Ville de Paris a soumis au vote de son budget participatif un nouveau dispositif à financer : la « boîte à dons ». Une petite maison en bois où l’on dépose ce que l’on veut (seule contrainte : que ce soit en bon état), libre à chacun de prendre ou pas. L’association derrière l’opération espère en construire 25 du genre dans la capitale…
Le don, nouvelle pratique à la mode ? Il semblerait, tant se sont multipliés ces dernières années les dispositifs visant à accroître la générosité. Deux phénomènes, parmi les plus marquants : l’explosion du crowdfunding, qui permet, grâce à Internet, de soutenir des projets sans l’intermédiaire des associations traditionnelles, et le développement du don en caisse et de l’arrondi sur salaire, deux dispositifs consistant à verser quelques centimes à une association à chaque passage en magasin ou à la réception de sa feuille de paye. Depuis trois ans, 1,2 million de microdons ont été collectés ainsi.
Le don n’a jamais été aussi en vogue que dans les sociétés de (sur)consommation. Un paradoxe ? Pas du tout ! Dans son Essai sur le don, publié en 1925, l’anthropologue Marcel Mauss dévoile ainsi que le don est une pratique universelle (et donc inextinguible), car il est la condition sine qua non de l’existence même de toute société, le roc de toute structure sociale. Une société reposant uniquement sur l’économie « économique » est inimaginable – il s’agirait alors d’une addition de personnes seules.
Comment expliquer que le don ait cette vertu quasi magique de fabriquer du lien entre nous ? En se fondant sur les comportements de tribus primitives, Marcel Mauss révèle que le don relève de la triple obligation inconsciente du « donner, recevoir, rendre ». Un triptyque qui force les individus à créer du lien entre eux. Au contraire, le marché est le creuset de l’individualisme : l’échange de monnaie permet en effet de rompre la relation à tout moment. Si l’on osait, nous dirions que c’est la différence entre l’amour et le sexe tarifé. Quand on aime, « on ne compte pas », d’où l’engagement émotionnel intense du sentiment amoureux. Dans le cas de la prostitution, l’argent qui entre en jeu permet aux parties prenantes de ne pas s’investir dans la relation.
Voilà pourquoi donner est une expérience tout à fait banale et naturelle dans notre existence : aimer, partager un repas, écouter un ami, passer du temps à jouer avec ses enfants, donner un coup de main à un aïeul, et même donner la vie. Toutes ces choses qui n’ont pas de prix sont à la base de notre « vivre-ensemble », et en font la saveur. Quant au « don à un inconnu », bien qu’encouragé de toute part, il semble rester stable : chaque année, en France, quelque 4 milliards d’euros sont versés à des associations.
Pauline Graulle
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