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mercredi 25 février 2009, par Frédéric Lordon
C’est à ce moment qu’il faudrait commencer à parler chiffres. La chose est passablement délicate car ces calculs de partage de la valeur ajoutée n’ont rien d’évident : comme toutes les statistiques macroéconomiques, le poids des conventions qui président à leur construction est grand, et les variations sur ces conventions susceptibles d’avoir en bout de ligne des effets sensibles [3]. L’évolution décrite à l’instant en termes délibérément vagues – ça monte de 1970 à 1982, ça baisse jusqu’à la fin des années 80 pour finir plus bas que le point de départ de 1970 –, correspond au constat faisant incontestablement accord. Les divergences apparaissent alors. Pour certains la baisse ne s’arrête pas en si bon chemin et se poursuit quoique à un rythme sans commune mesure avec l’ajustement précédent [4]. Pour les autres, l’INSEE en particulier, la part salariale, à quelques oscillations près, se stabilise à partir du milieu des années 90 et ne bouge quasiment plus de son plateau à 69 %, soit tout de même deux points au dessous de sa valeur de 1970. Quelle que soit la thèse retenue, il est impossible en tout cas de soutenir que la part salariale connaisse depuis 1990 une compression aussi dramatique que ce qui lui a été infligée pendant les années 80.
Aussitôt deux questions. La première est simplement, logiquement, revendicative : « on nous en a pris », dit le salariat, « et même beaucoup, maintenant il faut nous en rendre ». Question subsidiaire : combien ? Tout ou partie ? Et si « partie », laquelle ?
La seconde est plus analytique, mais pas dénuée d’intérêt tout de même, et tient à ce qu’on pourrait nommer le « paradoxe de la part salariale » : comment comprendre que la part salariale cesse de s’ajuster (ou s’ajuste, mais beaucoup plus faiblement) au moment où l’économie française entre dans un régime de mondialisation franche… précisément réputée pour mettre les revenus salariaux sous intense pression ?
Brève histoire du pendule
Le constat, un peu hâtivement transformé en slogan, d’une bascule de « 10 points de PIB au capital » repose sur la référence implicite de 1982 – le point haut. Or, il faut avoir le courage de le dire : ce point haut était trop haut. Les travaux fondateurs de l’école dite de la Régulation [5] ont livré une histoire analytique assez convaincante de cette divergence soudaine de la part salariale qui était demeurée stable tant que la progression rapide du salaire réel à l’époque fordienne demeurait en ligne avec la croissance non moins forte de la productivité du travail [6].
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