par Amanda Andrades , Eric Toussaint
17 mars 2016
Eric Toussaint (Namur, Belgique 1954), docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII étudie depuis plus d’un quart de siècle la manière dont le FMI ou la Banque mondiale utilisent la dette « pour discipliner un pays ». D’abord centré sur la dette externe du Tiers-Monde, il fonde en 1990 le Comité pour l’annulation de la dette du Tiers-Monde (CADTM) dont il est le porte-parole. Il a conseillé plusieurs pays comme l’Equateur, le Paraguay et le Timor. Lorsque la crise de la dette publique a éclaté dans les pays de la périphérie européenne, Toussaint a intégré à son combat le « Premier Monde ». Il a été coordinateur scientifique de la Commission pour la Vérité sur la dette grecque, créée par Zoe Konstantopoulou, ex-présidente du Parlement grec jusqu’à sa dissolution en novembre 2015.
Quand on demande à Eric Toussaint qui soutient en Espagne la Plateforme d’audit citoyen de la dette pourquoi l’audit de la dette a disparu de l’agenda de Podemos - alors qu’il fait partie de son programme, il pointe « la pression d’un discours de realpolitik » pour se débarrasser des questions difficiles de la presse. « Il est plus facile de dire que le paiement de la dette ne pose plus de problème. Or, si le paiement de la dette est pour l’instant gérable, la situation pourrait très rapidement changer dans le cas d’une nouvelle crise bancaire ».
Partie prenante de l’initiative du Plan B (voir : http://cadtm.org/Un-Plan-B-pour-l-Europe), il est convaincu non seulement du fait que la social-démocratie ne cherche pas à réformer l’Europe mais également que l’Union européenne n’est pas réformable. C’est pourquoi il met en avant la nécessité de « désobéir aux institutions européennes ».
Amanda Andrades : Quelles ont été les principales conclusions du Comité d’audit de la dette grecque que vous avez dirigé ?
Eric Toussaint : La dette à l’égard de la Troïka, qui représente plus de 85% du total de la dette grecque est illégale, insoutenable, odieuse et illégitime. Il s’agit d’une nouvelle dette contractée depuis 2010 sous des conditions très claires : des politiques imposées par les créanciers qui violent les traités internationaux en matière de protection des droits humains. La dette est également insoutenable d’un point de vue financier et les politiques dictées par les créanciers sont à l’origine de la chute radicale du produit intérieur brut de la Grèce.
Qu’advient t-il de la dette d’avant 2010 ?
Elle a été transformée en dette réclamée par la Troïka. Nous avons analysé l’ancienne dette et il y a également des signes évidents d’illégitimité et d’illégalité. Il s’agit d’une dette à l’égard de banques privées constituée en majorité de titres vendus sur les marchés financiers.
Mais il y a ceux qui soutiennent que si la Grèce a emprunté avant l’arrivée de la troïka, elle devra payer ?
Si la dette antérieure est illégale ou illégitime, non. Mais dans le cas présent, on peut en plus démontrer le caractère illégal et odieux de la dette actuelle, donc cet argument n’a pas de valeur.
Vous signalez dans votre rapport que l’endettement grec n’est pas dû à des dépenses publiques excessives. A quoi est-il alors dû ?
Premièrement, il est dû à des politiques fiscales qui comme dans d’autres pays ont réduit les impôts payés par les riches. Deuxièmement, l’entrée dans la zone Euro a donné lieu à un énorme flux de capital financier provenant de 15 banques françaises et allemandes qui ont cherché à placer leurs liquidités en Grèce. Les banques allemandes ont fait de même vis-à-vis des entreprises de construction et banques espagnoles à la même époque. Et également avec le Portugal. Troisièmement, les dépenses militaires de la Grèce sont les plus importantes d’Europe en % du PIB. Les entreprises qui ont vendu et qui vendent des armes à la Grèce sont d’abord allemandes, puis françaises et en troisième lieu américaines. Les gouvernements de ces pays ont fait pression sur la Grèce pour qu’elle maintienne des dépenses militaires très élevées. De plus, l’implication grecque dans l’OTAN est très coûteuse car la Grèce doit remplir une série de missions en tant que pays voisin du Proche-Orient. Il faut questionner cette participation grecque à l’OTAN. Quatrièmement, une politique de réduction des cotisations sociales payées par les employeurs qui ont réduit les recettes de l’Etat. Il s’agit d’une politique néolibérale généralisée dans nos pays mais en Grèce elle a été mise en place de façon bien plus agressive. L’endettement public est venu compenser cette baisse de recettes.